LQJ-271

rejaillit évidemment sur les modes d’exploitation. Car tel est bien le but : assurer la pérennité des forêts, ce qui passe non seulement par la régénération des espèces commerciales – ne pas tout couper tout de suite sinon celle-ci est impossible – mais aussi par la diversification. L’azobé, très demandé par le secteur maritime ou pour faire des billes de chemin de fer, se raréfie ? Jean-Louis Doucet et son équipe sont à pied d’œuvre pour que l’es- pèce qui va le remplacer, l’okan, soit gérée correctement. BUBINGA Certes, mais ne faudrait-il pas laisser les forêts vierges en l’état et interdire l’exploitation des bois tropicaux ? Le sourire sarcastique qui apparaît sur les lèvres de Jean- Louis Doucet à l’énoncé de l’objection signale que vous venez de commettre une gaffe. « Vierges ? Ces forêts ne le sont généralement plus depuis plusieurs milliers d’an- nées. Les hommes y ont pratiqué la culture itinérante sur brûlis, ce qui a d’ailleurs sans doute contribué fortement à leur composition actuelle. Sans les champs, il est probable que beaucoup d’espèces héliophiles, c’est-à-dire qui ont besoin de beaucoup de lumière pour leur croissance, n’auraient pu s’y développer. » Quant à l’interdiction d’ex- ploitation, Jean-Louis Doucet vous supplierait presque de vous faire construire une habitation – et son mobilier – tout en bois tropicaux ! « La déforestation ne provient pas de l’exploitation forestière mais essentiellement du défrichage en vue de cultiver du soja ou d’établir des pâturages par exemple. L’exploitation de la forêt, elle, si elle est bien gérée, contribue à sa sauvegarde. » Assurer des emplois, c’est aussi développer les recherches bien au-delà de l’exploitation du bois brut. Connaissez- vous la belle histoire du bubinga ? Jean-Louis Doucet l’adore. C’est une espèce rare, dont l’abattage et le com- merce sont réglementés, mais qui est victime d’un trafic car les Asiatiques notamment en sont friands pour fabri- quer des meubles de luxe. « Ce bois se raréfie et nous en avons étudié la dispersion, ce qui nous a permis de constater que dès que des graines tombent, les rongeurs se précipitent pour les manger. Tout simplement parce qu’elles contiennent des molécules volatiles semblables à celles émises par les femelles en période de reproduc- tion ! Une molécule qui a des vertus aphrodisiaques, que les populations locales connaissent bien sûr, elles qui exploitent l’écorce à cet usage. On envisage donc, avec des collègues gabonais, d’en faire un substitut du Viagra. Ces forêts sont une pharmacopée à ciel ouvert. Ces autres usages de la forêt, nous voulons les développer pour lui donner une autre valeur. » AUTRES RYTHMES Du bois et des forêts, on pourrait en parler pendant des heures avec Jean-Louis Doucet. Et l’Afrique ? « J’y suis encore présent environ quatre mois par an. Pour superviser les recherches du laboratoire mais aussi pour y donner des cours en RDC, à l’École régionale d’aménagement et de gestion intégrés des forêts et territoires tropicaux, et au Gabon, à l’université des sciences et techniques de Masuku. Et j’y emmène nos étudiants de Gembloux. C’est un brassage, un échange auquel je tiens. » Il ne faut pas longtemps pour sentir poindre chez Jean-Louis Doucet comme une nostalgie de la vie africaine, loin du stress et des 100 mails quotidiens. « Je sens cette forêt, je vois sa dynamique. Et puis, enseigner là-bas est passionnant. Les étudiants ne sont pas blasés et il faut se débrouiller avec les moyens du bord, s’adapter au terrain. » Devenu “patron” d’un laboratoire d’une trentaine de chercheurs, Jean-Louis Doucet n’a plus de temps pour développer des projets personnels de recherche. Suivre les travaux de ses collaborateurs, de ses doctorants – dont bon nombre proviennent bien sûr d’Afrique – est, avec la recherche de fonds, son quotidien. Et encore, il s’estime chanceux car il bénéficie de fonds privés et de collabo- rations avec les grandes exploitations forestières. « Mais cela nous oblige en retour à être performants, sous pres- sion pour respecter des échéances. » Tout en se jouant du temps. « Lorsque nous plantons un arbre, il faut attendre quatre ou cinq ans pour commencer à avoir des données exploitables. Ceux qui financent nos recherches doivent se rendre compte de la spécificité de notre domaine. Et plus encore les sociétés avec lesquelles nous travaillons sur le terrain : il n’est pas facile d’expliquer à une entreprise que l’arbre qu’elle replante aujourd’hui avec notre aide, sur nos conseils, ne sera commercialement intéressant que dans 100 ou 200 ans ! » Connaissez- vous la belle histoire du bubinga? Jean-Louis Doucet l’adore septembre-décembre 2018 / 271 ULiège www.uliege.be/LQJ 9 !, -)(.'/(*

RkJQdWJsaXNoZXIy MTk1ODY=