LQJ-272

H émorragie des partis, absten- tionnisme croissant, montée des politiques autoritaires, la démocratie est fatiguée. Le suf- frage universel ne suffit plus à “faire société”. Parmi les causes les plus évidentes : l’impuissance face aux grands enjeux sociétaux (dérègle- ment climatique, migrations, mau- vaise répartition des richesses, etc.), la force des lobbys, les politiques d’austérité inefficaces, la méfiance à l’égard des élus et des partis. Le citoyen a le sentiment de ne plus être écouté ni représenté. Cette défiance ne reflète pas une apathie politique. Que du contraire ! Un glis- sement s’opère vers d’autres canaux d’expression et d’engagement. Les contestations sont de plus en plus retentissantes (“Les indignés” à Madrid, ‘Occupy Wall Street” à New York, les “Wutbürger” en Allemagne et les plus récents “gilets jaunes” notamment). D’autres cherchent à renégocier le système de l’inté- rieur. Les démocraties sont essouf- flées, mais ne sont pas à jeter pour autant. À coup d’essais-erreurs, des méthodes de participation et de délibération citoyennes gagnent les faveurs des deux bords et per- mettent de réfléchir et d’avancer à nouveau. « Peut-être vivons-nous ce moment de bascule tant attendu, projette Pierre Delvenne, politologue et chercheur qualifié FNRS et codi- recteur de Spiral à l’ULiège. C’est aussi la raison pour laquelle nous devons redoubler de vigilance sur ce que peut devenir la participation. » VERS QUELLE IMPLICATION CITOYENNE ? La consultation citoyenne n’est pas exclue de nos sociétés. Certains pays proposent même une forme de démocratie directe en favorisant le référendum. Mais les questions, fer- mées, limitent la réflexion et le débat. Les prises de position restent polarisées. En Belgique, si le référendum ne s’applique pas, la consultation citoyenne s’ouvre dans les Régions. Un bon signal, mais qui reste limité et ne contraint pas les prises de déci- sion. « D’autres propositions existent, remarque Hadrien Macq, doctorant à l’Institut de la décision publique ainsi qu’au Spiral, comme l’affectation de budgets participatifs pour des projets de quartier, tels que l’aménagement d’un parc ou d’une place par exemple. Toujours est-il qu’un impératif participatif plus large transcende les clivages politiques. Plus de 30 listes citoyennes se sont présentées aux dernières élections communales . Et de nombreux partis ont abordé la participation, même si sa mise en pratique diverge selon leurs idéologies. » Cette soif de démocratie n’est pas nouvelle. Au milieu du XX e siècle, Jürgen Habermas et John Rawls plaidaient déjà pour une plus grande implication citoyenne dans l’organisation de la société et les contestations actuelles rappellent les mouvements de la fin des années 1960. Quant au terme “démocratie délibérative”, il émerge en 1988 avec les travaux de l’Américain James Fishkin. Près de 20 ans plus tard, au Texas, il montrait que, d’un sondage à un panel délibératif tiré au sort, le nombre de citoyens prêts à payer plus pour une énergie plus verte passait de 52 à 84% ! Aujourd’hui, cet État conservateur, dont le socle économique est l’exploitation pétrolière, détient le plus grand parc éolien des États-Unis. La participation est avant tout tributaire d’un instant délibératif. « Un citoyen qui veut participer a parfois une vision très construite de la société, et ne voudra pas changer d’avis, observe Min Reuchamps, professeur de science politique à l’UCL et l’un des instigateurs du “G1000”. L’enjeu de la délibération est de favoriser, au terme d’échanges raisonnés d’arguments, d’informations et d’exposés, l’adoption d’une proposition commune ou consentie. Le dispositif doit permettre le partage des idées : des tables rondes, des groupes de discussion restreints et des facilitateurs qui les encadrent et les animent. Cependant, assurer une grande diversité des voix n’est pas chose aisée. Un travail particulier est à mener auprès des publics précarisés, pétris d’impor- tants mécanismes d’autocensure. Non seulement donner leur avis ne leur semble pas légitime, mais en outre leur défiance envers la classe politique est parfois telle qu’ils n’espèrent plus influencer le cours des choses. » Il existe des solutions pour corriger ce biais et le tirage au sort en est une. David Van Reybrouck, initiateur du G1000 également, auteur de Contre les élections et invité des La participation ne se substitue pas au travail politique, mais le questionne et l’étoffe par un répertoire d’actions citoyennes Pierre Delvenne janvier-avril 2019 / 272 ULiège www.uliege.be/LQJ 12 à la une

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