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de ma matière, de chercher à comprendre comment le droit est lié à la vie politique. J’ai choisi un axe précis, qu’on retrouve d’ailleurs dans mon livre sur les juges, qui diffère de la manière habituelle qu’ont les politologues d’étudier la façon dont un événement, un conflit, une tension ou un processus finit par devenir une règle juridique. J’ai en effet décidé de prendre le problème dans l’autre sens. Je me suis dit que puisque j’étais dans une faculté de Droit, ce qui est rare dans les autres universités, j’allais plutôt m’in- téresser à la manière dont les règles juri- diques vont cadrer les acteurs politiques à travers plusieurs types de contraintes : en produisant des normes à leur façon, en arbi- trant de valeurs morales et en pérennisant un système politique à travers le temps, en refusant des sécessions d’entités subéta- tiques. » Et de se plonger dans le mélange des règles de droit, des rapports de pouvoir et des normes éthiques. Il lui a fallu un an de travail. « J’ai vu à quel point les acteurs politiques ne sont pas nécessairement libres de faire tout ce qu’ils veulent et qu’ils sont fortement contraints par toute une série de règles de droit qui relèvent parfois de la morale, et que, si l’on veut comprendre la vie politique, on a intérêt à bien comprendre la règle de droit qui la structure. Il y a beau- coup de politologues, dans d’autres univer- sités, qui ne maîtrisent pas suffisamment les aspects législatifs. Et en Belgique, Liège est le seul département de science politique intégré dans une faculté de Droit et non pas de Sciences sociales. En France, historique- ment, la science politique a été enseignée avec le droit car, dès le XIX e siècle, ses créa- teurs ont bien compris qu’elle devait étudier le pouvoir, c’est-à-dire des mécanismes de domination dont je parle dans mon livre et que ces mécanismes sont rendus effectifs par la contrainte juridique et les règles que les citoyens doivent respecter. » L’une des caractéristiques du XXI e siècle serait la “judiciarisation” des systèmes poli- tiques et sociaux qui renvoie à l’influence des juges, lesquels sont amenés à traiter un nombre croissant de problèmes politiques et sociaux. Dans son ouvrage, Geoffrey Grandjean pose une question : si elle était confirmée, cette “judiciarisation” serait-elle susceptible de remettre en cause les fonde- ments classiques de notre approche occi- dentale de la démocratie et de l’exercice du pouvoir politique ? Afin de répondre à cette question, son essai pédagogique – il le qualifie lui-même ainsi – aborde donc la puissance politique et l’audace des juges à partir d’une foisonnante littéra- ture. Une approche qui rencontre l’opposi- tion de certains juristes qui, en plus de réfuter leur ascendant politique sur une collectivité parce qu’ils statuent sur des cas individuels, perçoivent les juges comme des institutions impartiales telles que la Cour de cassation ou le Conseil d’État. « Or, pour moi, cette vision représente un pouvoir de domination à tra- vers le poids qu’on donne à ces juges. Dans mon optique, je les considère comme des per- sonnes qui décident collégialement et sans absence de neutralité. Elles ont leur vision du monde et reflètent leurs diversités de points de vue. » Les juges ne sont guère des “êtres Dans mon optique, les juges sont des personnes qui ont leur vision du monde et reflètent leurs diversités de points de vue. Dans ce sens, leur fonction est éminemment politique. janvier-avril 2019 / 272 ULiège www.uliege.be/LQJ 38 le parcours

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