LQJ-272

subissent quand même une perte de revenus ; ils doivent s’endetter parfois, perdent confiance en eux-mêmes, sont stressés, tombent malades… Parallèlement à ces diminutions de revenus, les biens de première nécessité deviennent inaccessibles : l’eau, l’énergie deviennent trop chères. La santé, l’école, l’alimentation, le logement… Tout devient problématique et il faut de plus en plus souvent renoncer aux dépenses pour l’un ou l’autre secteur. 32% des personnes pauvres ont dû postposer des soins de santé ou des soins dentaires. Les prix flambent pour tout le monde, mais de manière plus dramatique pour ceux qui sont dans le besoin, même s’ils consomment avec par- cimonie. L’état de survie devient habituel, quotidien et, malheureusement, pérenne pour un grand nombre de nos concitoyens. La pauvreté durable s’installe, ce qui conduit à l’estompement de la norme, à l’usure face à la situation, au repli sur soi, au renoncement… Il n’y a plus d’espace pour le rêve, pour le jeu, pour la détente. L’égalité des citoyens sur le sol wallon est véritablement compromise. Même le respect de la vie privée n’a plus cours. C’est pourtant un droit fondamental. Lorsqu’un individu demande une aide financière, c’est la porte ouverte à l’intrusion dans sa sphère intime : on contrôle ses reve- nus mais aussi ses dépenses ! Et que dire du fameux statut de “coha- bitants” ? Deux personnes isolées avec un revenu d’intégration sociale doivent cacher qu’ils vivent ensemble au risque de perdre l’un de ces reve- nus. Et une mère seule, allocataire iso- lée, doit conseiller à son fils de 18 ans de se déclarer autonome, sinon elle devient “cohabitante” et donc sanc- tionnée… Toute la solidarité familiale est punie ! LQJ : Que pensez-vous des réalisa- tions telles que les Restos du cœur, par exemple? Ch.M. : Les Restos du cœur, les épi- ceries sociales, la banque alimen- taire, etc. sont des initiatives inté- ressantes parce qu’elles répondent à une urgence, mais elles finissent par créer un circuit parallèle auquel un nombre grandissant de personnes a recours. Obliger les grandes sur- faces à distribuer leurs invendus plutôt qu’à les jeter, c’est bien. Inscrire cette disposition dans la loi, cela parti- cipe à la création d’un réseau parallèle, d’une “filière pour pauvres” qui conduira, in fine , à instituer des structures pour pauvres avec des emplois subventionnés, sorte d’officialisation d’un ghetto tenu à distance de notre société. LQJ : Que devraient faire les pouvoirs publics ? Ch.M. : Les politiques publiques restent le levier principal de la lutte contre la pauvreté, car la précarité est aussi le résul- tat de l’organisation sociale. Or aujourd’hui, on a tendance à aménager la “gestion de la pauvreté” plutôt qu’à s’attaquer au phénomène. Et pourtant les constats, les causes des problèmes sont patents. Prenons le travail, première source de revenus pour le plus grand nombre : on l’a déstructuré. L’élimination de la pauvreté n’est pas un acte de charité mais une question de justice António Guterres, actuel Secrétaire général de l’ONU janvier-avril 2019 / 272 ULiège www.uliege.be/LQJ 8 l’opinion

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