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réguler sa consommation. Chez les personnes alcoo- liques en revanche, on observe un cortex préfrontal plus faible, laissant la bride aux pulsions du striatum. « L’idée de mes recherches était alors de comprendre pourquoi ces individus ont un cortex préfrontal plus faible, précise Sophie Laguesse. Je suis donc remontée aux origines de la formation de ces deux zones du cerveau, jusqu’à évo- quer la possibilité d’une modification des connexions entre neurones du cortex préfrontal chez les adolescents. » Hypothèse confirmée : ses recherches montrent que l’al- cool, insidieusement, modifie la fonction du cortex préfron- tal encore invisible à l’adolescence, ce qui, à l’âge adulte, provoque des comportements irrationnels. « Les adultes manifestent des comportements typiquement adoles- cents : impulsivité, colère, indécision et mauvaise gestion de l’émotion. On parle de comportement “adulescent”. » L’objectif est maintenant d’identifier de nouveaux méca- nismes d’action contre l’alcoolisme afin de mettre au point des médicaments pour aider les patients et d’améliorer les stratégies de prévention contre l’abus d’alcool à l’adoles- cence. ART ET SCIENCE Mêlant art et science dans des créations théâtrales, le projet français “Binôme” est né dans les années 2010. Il réunit auteurs et chercheurs afin de faire émerger une œuvre artistique au départ d’une rencontre. L’idée est de susciter, grâce au “théâtre scientifique”, une réflexion sur un enjeu sociétal. Pour la première fois, le projet s’ex- porte en Belgique et met à l’honneur une chercheuse de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La rencontre entre Sophie Laguesse et l’auteur guinéen Hakim Bah a donné lieu à Dislocation cervical e , une pièce de théâtre de 30 minutes, lue sur scène par trois comédiens de la Compagnie “Les sens des mots” et présentée à Avignon en juillet 2019. « C’est un projet très stimulant qui a ouvert d’autres portes , se réjouit la chercheuse. Des personnes motivées vont m’aider à faire de la prévention dans les écoles. Cela fait partie, je pense, de mon devoir de scientifique. » Binôme. Dislocation cervicale Création artistique par la Compagnie “Les sens des mots”, texte de Hakim Bah, d’après sa rencontre avec Sophie Laguesse. Le 26 mars à 20h à la Cité Miroir, place Xavier Neujean 22, 4000 Liège Dans le cadre du Printemps des sciences et de Corps de Textes, en collaboration avec ImagéSanté. Avec le soutien de la Maison des sciences de l’homme, Liège Creative et Réjouisciences (ULiège). * réservation sur www.theatredeliege.be , tél. 04.342.00.00 Comment devient-on alcoolique ? Sophie Laguesse pose le cadre : « L’addiction comporte une forte compo- sante de génétique et d’environnement social. Ce que j’étudie, c’est la partie phy- siologique : je me concentre vraiment sur ce que l’alcool provoque sur le cerveau. » Chez les jeunes, le cerveau est encore en matu- ration. « Le développement perdure jusqu’à 20 ans, de l’arrière vers l’avant. Le cortex préfrontal est dès lors le dernier élément du cerveau à se construire. Mon hypothèse est que l’ingestion compulsive d’alcool perturbe la maturation de cette région, c’est-à-dire la création de connexions stables. » Pour tester ces hypothèses, Sophie Laguesse utilise un modèle d’alcoolisation importé des États-Unis : des souris ado- lescentes consomment volontairement de grandes quantités d’alcool, sans restriction de nourriture ni procédures douloureuses ou stressantes. Objectif : leur faire atteindre des concentrations d’alcool sanguin aux alen- tours de 150mg/dl, ce qui correspond aux valeurs rencontrées chez les humains qui “ binge-drink ”. La chercheuse observe alors l’effet de l’al- cool sur les différents types de neurones du cortex préfrontal, leur nombre, leur survie, leur morphologie, mais aussi les forces des connexions entre neurones et les consé- quences comportementales d’un mauvais fonctionnement de cette région cérébrale. Les souris étudiées manifestent des troubles de l’anxiété, des comportements dépres- sifs, une diminution des performances cogni- tives ainsi qu’un risque plus élevé de déve- lopper une addiction à l’alcool. L’hypothèse est donc confirmée : la conjugaison alcool- adolescence présente bel et bien un danger, d’autant plus grand que ses conséquences ne se remarquent qu’à l’âge adulte, quand il est trop tard… janvier-avril 2020 / 275 ULiège www.uliege.be/LQJ 39 le parcours

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