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des hauts et des bas. « Mais il n’a jamais été question de baisser les bras. La mise en place a pris un peu de temps. Une fois installée, mon compagnon est venu me rejoindre et l’aventure a pu continuer… avec le sourire. » effet DE L’ALCOOL à l’ADOLESCENce Trois ans plus tard, de retour au pays , Sophie Laguesse entend poursuivre ses recherches dans le prolongement de ses précédentes études sur le cortex. « L’addiction a toujours été un peu mon sujet de prédilection, explique-t-elle. Pour autant, il n’y a jamais eu d’alcoolisme dans la famille, contrairement à ce que beaucoup de gens me demandent à mes conférences. Je suis surtout fascinée par le fait qu’une molécule, si quoti- dienne, puisse engendrer de tels ravages. » Elle contacte son directeur de thèse, Laurent Nguyen, superviseur d’une équipe de cher- cheurs à l’Alcohol Use Disorders Lab (au GIGA- Neurosciences). « Je me suis rendu compte que la littérature évoquait très peu le lien entre l’alcool et la consommation précoce, entre 13 et 17 ans, une période cruciale pour la formation du cerveau car l’organe est encore plastique à cette époque de la vie. » Une étude l’interpelle plus particulière- ment : réalisée sur environ 80 000 personnes, elle évoque un risque de dépendance pathologique de 47% lorsque l’on commence à consommer de l’al- cool à l’âge de 13 ans. Un pourcentage qui décroit à mesure que l’individu grandit : boire à partir de 21 ans n’engendre “plus que” 9% de risques de devenir alcoolique. « Cette étude a constitué un déclic, se souvient la chercheuse. Elle m’a cho- quée, d’autant plus que des études montrent que beaucoup de jeunes adolescents consomment de l’alcool… » BOIRE DE MANIERE COMPULSIVE Une pratique très en vogue aujourd’hui inquiète aussi la chercheuse : le binge drinking. « 40% des 13-17 ans le pratiquent , constate-t-elle . Cela correspond à une consommation, en deux heures, de quatre verres d’alcool pour les femmes et cinq verres pour les hommes. En soirée, au bar avec des amis, on les atteint plus vite que l’on ne croit ! » Que se passe-t-il alors dans le cer- veau ? « Malheureusement, il n’existe pas de réponse unique, claire et simple , regrette Sophie Laguesse. Il y a bien un aspect toxique lié aux sulfites présents dans le vin par exemple, mais les méfaits en sont généralement observés dans les cas extrêmes tels que les comas éthyliques. Si le mécanisme précis de l’action de l’alcool dans le cerveau n’est pas connu, il est néanmoins avéré qu’il modifie la transmission de neurotransmet- teurs, soit les molécules chimiques qui passent d’un neurone à un autre pour communiquer. En quelque sorte, l’alcool modifie la chimie des connexions entre neurones. » Au cours de son post-doctorat à San Francisco, Sophie Laguesse et l’équipe du Pr Dorit Ron ont montré que l’alcool agit en modifiant la produc- tion des protéines au niveau de ces connexions. Il renforce les connexions entre certains neu- rones et crée un “souvenir” du plaisir après l’ab- sorption d’alcool. « Dans le cerveau, deux zones contrôlent la régulation d’alcool, explique-t-elle. La première, le striatum, est un peu notre “mau- vaise conscience”, car c’est une zone assez primaire qui façonne les habitudes, induit la recherche du plaisir. La seconde, le cortex pré- frontal, bien plus évoluée que la première, permet de réguler ses ém otions, son impulsivité et de prendre les bonnes décisions. » Boire un verre ? Cela stimule le striatum, renforce les connexions entre les neurones et le rend plus fort, plus puissant. Dans la grande majorité des cas, le cortex préfrontal (rationnel) prend le pas sur le striatum (impulsif) : l’individu parvient à L’alcool modifie la chimie des connexions entre neurones 38 janvier-avril 2020 / 275 ULiège www.uliege.be/LQJ le parcours

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