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cœur leur en dit, ceux-ci peuvent rallier la cara- vane et accompagner les danseuses dans leur déambulation itinérante à travers la ville. « La confrontation et l’interaction avec les pas- sants font partie intégrante de la démarche. L’imprévu est même une des composantes essentielles du collage. Hormis les intempéries ou les dangers qui peuvent survenir, de nom- breux collages deviennent la cible des passants et sont intentionnellement arrachés. Ces réac- tions disent quelque chose d’important au sujet du seuil de tolérance de la personne qui s’en offusque, du contexte dans lequel le collage est posé ou même de l’histoire du lieu qui le reçoit », soutient Laura Zinzius. L’ESPACE URBAIN, UN TERRAIN DE JEU MASCULIN ? « Nous choisissons consciemment les espaces où aura lieu notre performance, ainsi que les mouvements que nous voulons y mettre. Chaque endroit nous imprègne différemment, car il porte en lui une histoire que nous tentons de revisiter avec nos propres codes. Certains quartiers sont par exemple très fréquentés par des hommes. Nous y intervenons pour instiller de la féminité mais aussi de la combativité. Notre danse est celle de femmes qui connaissent leurs droits et leurs pouvoirs. Au-delà de l’esthé- tique contemplative, il y a une vraie intention, un engagement de notre part à toutes », expliquent à tour de rôle les membres de Caravane. Un constat que rejoint Laura Zinzius : « Plusieurs études ont démontré que l’espace public avait majoritairement été pensé par et pour les hommes et non par et pour les femmes et autres personnes sexisées. Lorsqu’une femme se déplace dans la ville, c’est souvent pour aller d’un point A à un point B, surtout le soir, car elle se sent insécurisée. Il est rare qu’elle soit assise sur un banc seule pour fumer une cigarette, guetter ou pour se prélasser. Il en va de même pour les aires de jeux publiques qui sont souvent organisées pour accueillir des sports sociale- ment associés au masculin. Ce sont souvent des terrains de foot ou de basket. Enfin, les toilettes publiques sont peu présentes et, quand il y en a, elles sont payantes tandis que les urinoirs, eux, ne le sont pas. En temps de confinement, lorsque tous les cafés étaient fermés, la difficul- té était grande pour une femme d’avoir accès à des toilettes dans l’espace public. » Face à un statut négligé ou relégué au second plan, et ce, jusque dans l’aménagement même des villes, colleurs, colleuses et danseuses bravent l’interdit et l’imprévu pour s’imposer dans un monde qu’ils et elles trouvent encore trop masculinisé. « Ils et elles transgressent les règles établies, affrontent les dangers de la ville, et doivent souvent effectuer des repérages nocturnes pour choisir le mur le plus adéquat ou encore celui qui bénéficiera d’une meilleure visi- bilité. L’acte de coller s’effectue aussi souvent de nuit, dans l’illégalité. La création de collectifs de colleurs et colleuses montre que la place des femmes n’est pas exclusivement reléguée à la sphère domestique. Ils et elles ont infiltré cet univers et y ont fait leur place pour porter à la connaissance de tous des revendications importantes. Ils et elles sont aussi, si pas plus, concernés que les hommes cisgenres par le droit à la parole et à la visibilité dans l’espace public. » Malgré une esthétique différente, le point de jonction entre le collage sauvage et la danse urbaine itinérante réside donc dans l’ar- dente volonté qui anime tous les membres (étudiant·e·s, mères, comédien·ne·s, artistes, enseignant·e·s, etc.) de se réapproprier l’es- pace urbain pour lui rendre sa fonction originelle de partage, de polémique ou de découverte. Et c’est notamment, comme l’ont fait la MSH et MNEMA, en confrontant ces deux pratiques urbaines, depuis des positions différentes mais complémentaires – celle de chercheuse et celles d’artistes engagées – que l’on parvient à mieux cerner la ville, ses enjeux et la façon dont cha- cun(e) peut se l’approprier pour rendre justice à celles ou ceux qui en sont privé·e·s. Contester et reconstruire nos espaces publics Cycle de conférences organisé à la Cité Miroir par la Maison des sciences de l’homme (MSH) et MNEMA. * programme complet sur le site www.msh.uliege.be janvier-avri l 2022 / 281 ULiège www.ul iege.be/LQJ 55 l’ invitée

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