LQJ-284

Loin d’être renvoyé aux calendes grecques, le tirage au sort est d’une étonnante actualité en Belgique depuis la publication, en 2013, de l’ouvrage de David Van Reybrouck intitulé Contre les élections. Un colloque international organisé à l’université de Liège, le 4 novembre dernier, s’est clairement inscrit dans la continuité de cet ouvrage, voire dans une certaine opposition. Posons le cadre d’emblée : il ne s’agit aucunement de sanctifier les élections en nous opposant au tirage au sort. Il s’agit d’offrir un regard critique sur le sujet pour disposer d’une palette d’arguments afin de décider en connaissance de cause s’il faut changer ou non le mode de sélection des représentants. Ceux-ci semblent en effet avoir redécouvert les grandes vertus de la sélection aléatoire permettant d’assurer une rotation des charges et de restaurer la confiance entre les gouvernés et les gouvernants. On ne compte plus les nombreux “panels citoyens” mis en place dans nos systèmes politiques, à tel point que nous assistons, en Belgique, à une institutionnalisation du tirage au sort dans les différents parlements communautaires et régionaux. Qu’il nous soit pourtant permis de porter un regard critique sur ce “nouveau” système à travers le prisme de l’égalité. En quatre étapes. La première étape consiste à questionner la représentativité recherchée par le mode de sélection aléatoire des citoyens devant siéger dans ces panels. Les experts et les élus, entrepreneurs du tirage au sort, semblent intimement convaincus que la sélection probabiliste est le meilleur moyen d’assurer une représentation descriptive permettant de garantir un effet miroir entre les représentants et les représentés. Or la sélection probabiliste sur la base de critères socio-économiques ne permet pas de représenter la diversité des opinions politiques. La Conférence sur l’avenir de l’Europe (2021-2022) en est une illustration convaincante. En effet, la présence d’individus sociologiquement différents ne conduit pas nécessairement à une pluralité de points de vue. Au contraire, les opinions très critiques sur l’Union européenne ont été très minoritaires, par exemple. Autrement dit, le présupposé selon lequel la sélection des personnes doit se faire sur la base de catégories socio-économiques, professionnelles ou géographiques (entre autres), afin de refléter la diversité des idées présentes parmi les citoyens, est erroné. Ce présupposé est fondé sur l’idée que les citoyens pensent d’une certaine manière en fonction de leurs catégories d’appartenance, ce qui n’est pas sans rappeler la société d’ordres sous l’Ancien Régime. Derrière ce préjugé, se camoufle un déterminisme majeur du procédé. Prenons un exemple. Si on souhaite que la diversité statistique soit garantie, en termes de statuts professionnels, on doit s’assurer de la présence de citoyens issus de différents milieux socio-économiques. Il faudra réunir alors des ouvriers, des indépendants, des personnes sans emploi, des employés et des patrons, notamment. Mais qui peut garantir que l’appartenance à ces catégories socio-professionnelles implique des idées politiques diverses ? Certainement pas les modèles statistiques utilisés pour désigner les citoyens au hasard. En fait, l’échantillonnage statistique enferme les citoyens dans des cases. On présuppose que l’ouvrier représente des attitudes politiques communes à son milieu et que le patron en manifeste d’autres partagées par sa “classe”. Mais est-ce le cas ? Connaît-on leurs idées ? Le mode de sélection aléatoire ne permet pas de connaître ces attitudes. Le Conseil d’État belge, en conseillant le législateur wallon, avait d’ailleurs clairement précisé en 2021 que la procédure actuelle de tirage au sort ne peut être considérée “comme garantissant la représentativité politique des habitants ”. Quand les citoyens sont choisis par hasard, les idées importent peu. Autrement dit, le tirage au sort ne favorise aucun débat d’idées, au moment de la sélection, en amont de l’exercice d’un mandat, qui doit permettre de connaître les attitudes politiques des citoyens. Dans cette perspective, il s’agit donc d’un mode de sélection apolitique qui ne garantit nullement une égale présence – et non une égale importance – des positions politiques. Il n’est dès lors pas anodin qu’Yves Sintomer, expert du tirage au sort, ait proposé d’ajouter un critère attitudinal lors de la sélection des participants à la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Encore faut-il que les citoyens n’expriment pas des attitudes hésitantes quant aux questions politiques discutées et qu’ils aient conscience des inégalités qui traversent nos sociétés. Si ce n’est pas le cas, la sélection est rendue encore plus compliquée. La deuxième étape interroge la participation volontaire des citoyens dans le cadre des “panels citoyens”. Selon nous, l’absence même d’obligation de participation citoyenne fragilise la représentativité souhaitée par le mode de sélection aléatoire. En effet, l’auto-sélection des citoyens aboutit à la constitution d’une “élite participative”. Par exemple, à la suite du panel consacré janvier-avril 2023 i 284 i www.ul iege.be/LQJ 7 l’opinion

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