Atout cœur

Progrès en cardiologie


Dans Omni Sciences
Dossier Julie Luong - Photos Jean-Louis Wertz

En Europe, les maladies cardiovasculaires constituent la première cause de mortalité, devant le cancer. Clinique des valvulopathies, développement de nouvelles technologies pour améliorer la performance des prothèses, cardio-oncologie, recherche sur les maladies les tissus conjonctifs : les services de cardiologie et de chirurgie cardiovasculaire et thoracique de l’Université et du CHU de Liège se distinguent par leur expertise à la pointe des innovations techniques, en phase avec les nouveaux défis liés au vieillissement de la population.

Les maladies cardiovasculaires tuent plus que le cancer. Selon les chiffres 2016 de Statbel publiés en 2019, elles représentent en Belgique 27,7 % des décès, devant les tumeurs (26,4%). En Région wallonne, les maladies de l’appareil circulatoire provoquent plus de 10 000 décès chaque année, soit 28 par jour. On sait que les survivants d’un cancer ont eux-mêmes aujourd’hui plus de risque de mourir d’un problème cardiaque que d’une récidive de leur tumeur. Au CHU de Liège, le service de cardiologie – dirigé par le Pr Patrizio Lancellotti – et le service de chirurgie cardiovasculaire et thoracique – dirigé par le Pr Jean-Olivier Defraigne – prennent chaque année en charge quelque 26 000 patients.

CLINIQUE DES VALVULOPATHIES

Hypertension artérielle, diabète, tabagisme, hypercholestérolémie, excès de poids, manque d’activité physique régulière : les facteurs de risque des maladies cardiovasculaires, essentiellement liés au mode de vie, sont aujourd’hui bien connus. Certaines de ces pathologies cardiovasculaires sont étroitement liées au vieillissement comme les valvulopathies, maladies dégénérescentes qui ciblent les valves, ces “soupapes” qui séparent les quatre cavités du cœur. Si environ 3,5 % des personnes sont concernées, les valvulopathies sont nettement plus fréquentes après 65 ans : elles concernent 13% des plus de 75 ans. « La pathologie la plus fréquente est le rétrécissement (sténose) de la valve aortique, qui touche à peu près 6% des personnes au-delà de 75 ans », précise le Pr Patrizio Lancellotti qui, en 2009, a mis sur pied une clinique dédiée à cette pathologie redoutable.

LancellottiPatrizio-JLW Dans la sténose aortique, seule la moitié des patients présente des symptômes : l’autre moitié est totalement asymptomatique. Or, il s’agit d’une maladie grave, qu’il est important de déceler à temps pour pouvoir, le cas échéant, procéder au remplacement de la valve. « Le service a mis au point une série de tests diagnostiques, notamment des biomarqueurs spécifiques, qui prédisent avec un certain degré de précision l’évolution des patients, en termes de développement de symptômes, de décompensation cardiaque et même de mort subite », détaille le Pr Lancellotti*. Le service a par ailleurs conçu un test d’échographie à l’effort réalisée en position couchée, devenu aujourd’hui une référence mondiale dans l’évaluation des risques de sténose aortique. « Cette technique nous a permis d’établir une correspondance entre le développement des symptômes et l’apparition d’anomalies sur le plan écho-cardiographique. » Autant de critères qui permettent une stratification précise des risques. « Il s’agit d’une approche spécialisée pour une pathologie extrêmement particulière. À partir de toutes ces données, nous discutons avec l’équipe de chirurgie de la pertinence d’une intervention », explique le professeur.

PAS D’ÂGE POUR LA CHIRURGIE CARDIAQUE

Comme partout en Belgique, le nombre de cas opérés au CHU a connu une diminution transitoire, explicable par les progrès en matière de prévention, de traitements médi- caux et de cardiologie interventionnelle. Après cette diminution, le nombre d’opérations a augmenté ces dernières années, et la chirurgie cardiaque a été remise à l’avant-plan, notamment en raison du vieillissement de la population, de la réduction de la morbidité et la mortalité post-opératoires, et du développement de techniques chirurgicales moins inva- sives. « La chirurgie et la cardiologie interventionnelle – pose de stents, angioplasties implantation de valves percutanées – sont aujourd’hui complémentaires et non plus concurrentes, commente le Pr Jean-Olivier Defraigne. Certaines procédures comme la mise en place de valves aortiques percutanées peuvent même être réalisées conjointement par le cardiologue et le chirurgien. »

L’amélioration des techniques ouvre également l’accès à la chirurgie cardiaque à de nouveaux patients. « On opère maintenant des patients âgés, obèses, avec des comorbidités, un certain degré d’insuffisance rénale, des problèmes pulmonaires, c’est-à-dire des patients que l’on n’aurait pas opérés dans le passé. Dans les années 1980, on opérait d’ailleurs rarement les septuagénaires. À présent, on intervient régulièrement chez des patients de 85 ou 90 ans », poursuit le Pr Jean-Olivier Defraigne qui s’inquiète de voir certains pays européens remettre en cause le remboursement de la chirurgie cardiaque au-delà de 75 ans. « Personnellement, je trouve que c’est honteux. Le principe d’une intervention chirurgicale est que le bénéfice soit supérieur au risque. Bien sûr, à un moment donné – quand l’espérance de vie est de moins d’un an –, il faut savoir s’arrêter. Mais l’âge n’est pas un critère : un individu de 90 ans tout à fait autonome a le droit d’être opéré, d’autant plus qu’il a cotisé toute sa vie. »

GÉNÉTIQUE ET ANÉVRISME

DefraigneJeanOlivier-JLW Autre domaine d’expertise du service initié et développé par le Pr Natzi Sakalihasan : la recherche sur les maladies des tissus conjonctifs pouvant provoquer certains inci- dents cardiovasculaires dont la tristement célèbre “rupture d’anévrisme”. « La paroi d’un vaisseau se compose de tissus conjonctifs : certaines anomalies génétiques ou acquises du tissu entraînent une fragilisation du vaisseau qui peut se compliquer d’un anévrisme (dilatation de l’aorte) ou d’une dissection aortique (déchirure qui provoque une irruption de sang à l’intérieur de la paroi de l’aorte), des anomalies qui peuvent se retrouver au niveau des tendons, de la peau, du morphotype, etc. », précise le Pr Jean-Olivier Defraigne.

Jadis, seuls deux ou trois grands syndromes associés à ces risques, comme la maladie de Marfan, étaient connus et identifiés. « Les progrès de la recherche, de la biologie moléculaire et de la génétique ont permis de mettre en évidence toute une série de mutations qui prédisposent à ces complications vasculaires sans nécessairement être associées à des modifications cutanées ou ostéo-articulaires patentes. » Des découvertes qui ont notamment des implications sur les familles : fratrie, descendants, ascendants. « Avant, on savait par exemple qu’il existait des “familles à anévrismes” mais aucune démarche préventive n’était possible. Aujourd’hui, en collaboration avec le service de génétique de l’université de Liège, nous organisons une consultation multidisciplinaire et nous planifions le cas échéant un suivi rapproché afin de détecter de manière plus précoce ces complications », se réjouit le professeur.

DES POLYMÈRES MULTI-USAGES

Depuis huit ans, le service de cardiologie s’est par ailleurs distingué dans l’implantation de valves aortiques par voie percutanée (TAVI), une intervention pouvant toutefois être associée chez des patients très fragiles à des complica- tions sérieuses, comme les accidents vasculaires cérébraux (AVC). « Nous avons développé un programme de recherche pour déterminer les facteurs associés à ces complications », commente le Pr Patrizio Lancellotti. Il a ainsi été démontré que les patients qui présentaient ce type de troubles avaient souvent des antécédents de radiothé- rapie thoracique (poumon ou sein) ou des anomalies de la coagulation en relation avec la maladie de la valve. « Les vaisseaux de ces patients sont beaucoup plus rigides, presque calcifiés, et les cathéters peuvent provoquer, dans les vaisseaux, le détachement de petites fractions de calcaire. » L’évolution du déficit en multimères de haut poids moléculaire du facteur de la coagulation von Willebrand joue également un rôle dans l’apparition des AVC.

D’autres complications sont liées à la prothèse elle-même, susceptible de s’infecter ou de provoquer une thrombose. Cette observation a suscité une coopération avec le service de la Pr Christine Jérôme (Cerm) et de la Dr Cécile Oury du GIGA cardiovasculaire. « C’est une collaboration assez unique, explique cette dernière, qui permet aux cliniciens de nous relayer les bonnes questions afin que nous puissions apporter les bonnes réponses. C’est une manière de faire de la recherche fondamentale tout en ciblant les problèmes médicaux les plus urgents. » De cette collaboration est née le projet PV-COAT, financé à hauteur de 2 300 000 euros par un ERC Consolidator Grant. L’objectif ? Prévenir les thromboses des prothèses valvulaires grâce à un revê- tement nouveau aux propriétés antibactériennes, antipla- quettaires et donc antithrombotiques. « Nous avons développé un revêtement capable de s’attacher aux prothèses métalliques et aux prothèses biologiques. Ces polymères peuvent être chargés de médicaments capables de se libérer progressivement », renchérit le Pr Patrizio Lancellotti.

Les premières implantations chez le cochon sont aujourd’hui en cours. Mais le plus important est peut-être à venir : ce revêtement ou “coating” pourrait en effet être utilisé pour recouvrir la surface d’autres dispositifs médicaux implantables, tels des pacemakers ou encore des cathéters. « Un cathéter doit être changé toutes les 72 à 96 heures car le risque de thrombose et d’infection est important, rappelle le Pr Patrizio Lancellotti. 25% des septi- cémies graves sont liées à des infections de cathéter. » Or ceux-ci font partie du quotidien hospitalier : aux États-Unis, 15 millions de poses ont lieu tous les jours ! Au CHU de Liège, on en compte 300 000 par an. Un second financement européen (ERC Proof of Concept), financé à hauteur de 150 000 euros, devrait permettre la mise en production du produit développé dans le cadre du financement ERC et la mise en place d’une spin-off.

UN ANTIBIOTIQUE INSOUPÇONNÉ

La collaboration du service de cardiologie avec le Giga cardiovasculaire a donné lieu à une autre découverte de taille : celle des propriétés antibactériennes du ticagrelor, un des médicaments les plus administrés au monde pour la prévention des maladies cardiovasculaires athérioscléreuses. Chef des soins intensifs cardiologiques pendant 16 ans, le Pr Patrizio Lancellotti avait observé que les patients avec des infections pulmonaires se portaient mieux quand ils étaient sous ticagrelor que sous clopidogrel, l’autre médicament anti-agrégant plaquettaire régulièrement prescrit pour prévenir les infarctus et les accidents vasculaires cérébraux. « Les études au Giga ont permis de montrer que le ticagrelor était très efficace, même à l’égard de bactéries extrêmement résistantes aux antibiotiques conventionnels, comme le staphylocoque résistant à la méthicilline, ou l’entérocoque résistant à la vancomycine », relate le chef de cardiologie.

Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, les chercheurs ont ensuite découvert que, tout en ayant une activité bactéricide et anti-biofilm, le ticagrelor n’induisait pas de résistance. « Incorporé à notre coating, le ticagrelor pourrait non seulement empêcher la formation de caillots et de biofilms bactériens sur la surface des prothèses valvulaires mais aussi éviter les infections de tous types de dispositifs médicaux. Comprendre pourquoi elle est capable de tuer la bactérie sans induire de résistance présente par ailleurs un intérêt scientifique majeur. » Une vingtaine de nouvelles molécules antibiotiques dérivées du ticagrelor ont été développées depuis lors par les chercheurs, dans l’optique de séparer les activités antibactériennes des activités antiplaquettaires de ce “super médicament”. « Actuellement, nous travaillons sur une possible modification de la galénique du ticagrelor afin qu’il puisse être appliqué de manière topique, ce qui pourrait notamment permettre son utilisation contre... les mammites, autrement dit les infections du pis de la vache ! », s’enthousiasme le Pr Lancellotti.

LA CLINIQUE DE CARDIO-ONCOLOGIE

Les maladies cardiovasculaires ont aussi ceci de particulier que leurs facteurs de risque sont, peu ou prou, les mêmes que ceux des maladies cancéreuses. « Le lien semble se faire sous la forme d’un phénomène d’inflammation à bas grade, chronique, dans lequel le biotope intestinal, c’est- à-dire les bactéries présentes dans les intestins joueraient probablement un rôle important », analyse le Pr Patrizio Lancellotti. Mais les liaisons dangereuses ne s’arrêtent pas là : on sait en effet que pour les patients qui guérissent d’un cancer – ils sont aujourd’hui 23 millions dans le monde –, la première cause de mortalité, ce sont les maladies cardiovasculaires, non seulement à cause de ces facteurs de risque partagés mais aussi en raison des traitements oncologiques eux-mêmes.

Le Pr Patrizio Lancellotti a été pionnier dans la création d’une nouvelle discipline, la cardio-oncologie. Le CHU de Liège a ainsi été parmi les premiers hôpitaux à mettre sur pied une clinique dédiée à cette spécialité qui a l’objectif d’assurer un suivi cardiologique personnalisé de ces patients. « Parmi les nouveaux médicaments utilisés dans le traitement contre le cancer – notamment les thérapies ciblées qui permettent de faire face à des situations métastatiques difficiles –, beaucoup présentent des effets toxiques multiples au niveau des valves, des vaisseaux, du muscle cardiaque, de l’enveloppe autour du cœur (péricarde), du système de la coagulation ou de l’hypertension artérielle », explique la Dr Marie Moonen, responsable de la clinique de cardio-oncologie. Des stratégies de prévention cardiaque doivent donc être mises en place à long terme, ce qui n’est pas toujours aisé à accepter par le patient. « Souvent, les jeunes adultes qui ont eu un cancer... ne veulent plus en entendre parler. Beaucoup ne savent d’ailleurs pas que certains médicaments sont responsables d’un vieillissement accéléré du cœur ni même que la radiothérapie thoracique peut toucher les valves cardiaques. Il faut donc essayer de les informer au mieux sans leur faire peur et encourager le suivi à long terme », conclut la Dr Marie Moonen.

Informations sur les études

Nouveau Certificat interuniversitaire en Education thérapeutique du Patient Insuffisant Cardiaque (département Santé publique)

La cardiologie en chiffres

La prise en charge des malades fait partie des objectifs du pôle de compétence cardiovasculaire qui a pour but de permettre aux patients d’accéder aux technologies de pointes modernes. Pour ce faire, le service de cardiologie du CHU de Liège compte 19 cardiologues, 11 assistants et six à huit consultants qui se répartissent sur trois sites : le Sart- Tilman, les Bruyères à Chênée et l’hôpital d’Esneux. Le service de chirurgie cardiovasculaire et thoracique, quant à lui, compte 15 chirurgiens et sept assistants.
En 2018, ces deux services ont assuré la prise en charge de 26 000 patients environ, soit 6400 hospitalisations classiques, 1000 admissions en hôpital de jour et 39 000 visites ambulatoires, pour approximativement 3000 procédures de cardiologie interventionnelle angiographiques, structurelles – y compris le traitement percutané de la valve aortique (Tavi) –, et électrophysiologiques, 800 interventions de chirurgie cardiaque, et en moyenne 10 000 contacts annuels en revalidation cardiaque.

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