Faut-il manger de la viande ?

Et peut-on continuer à le faire ?

Dans Univers Cité
Dossier et photos FABRICE TERLONGE

L’Homo erectus consomme de la viande depuis environ 2,5 millions d’années. Aujourd’hui, elle semble de plus en plus difficile à digérer pour certains d’entre nous. Quelle est son importance chez les omnivores que nous sommes ?

Pour le bon steak saignant, les ennuis volent en escadrille. Entre les vidéos dénonçant les mauvaises conditions animales dans certains abattoirs français, le scandale de l’entreprise Veviba où fut découverte de la viande impropre à la consommation, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) qui classe les charcuteries et les viandes rouges (dont le porc et le veau) comme “probablement ” cancérogènes et encore le lobbying hyperactif des “vegan”, les Belges sont de plus en plus nombreux à vouloir bannir la chair animale de leur alimentation. Un élan cristallisé par l’impact de la campagne “Jours sans viande” initiée en Flandre en 2011 par la metteuse en scène anversoise Alexia Leysen ou par l’écho grandissant octroyé aux rapports du WWF, de la FAO et de Greenpeace indiquant que l’élevage, au niveau mondial, est responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre et de 80 % de la déforestation en Amazonie, notamment à cause de la culture du soja destinée à l’élevage.

En parallèle, la bistronomie du futur commence tout juste à sortir des laboratoires pour afficher ses atours gourmands dans les pages miroitantes des magazines lifestyle. Ainsi, depuis sa première apparition sous les flashs du “Frankenburger” en 2013, le steak de viande artificielle conçue à partir de cellules souches de boeuf a vu son prix passer du prix prohibitif de 250 000 euros… à un coût de fabrication estimé proche de la dizaine d’euros actuellement. Ce qui rend la commercialisation de ce “substitut de viande”, produit à partir de cellules musculaires animales cultivées dans des bioréacteurs, de plus en plus éloignée de la food-fiction. Les hommes d’affaires Richard Branson, Bill Gates et Jack Welch ont d’ailleurs déjà investi autour de 17 millions de dollars dans Memphis Meats, une start-up de la Silicon Valley qui, derrière l’ambition de “créer un monde meilleur”, fabrique aussi du poulet selon le même procédé. Sans élever ni abattre de bétail ou de volaille, donc. Mais il reste encore à garantir la saveur de toute cette production artificielle qui, jusqu’ici, plaît davantage aux robots qu’aux gastronomes carnivores.

Toutefois, d’autres alternatives existent déjà très concrètement en mode 100% végétal, notamment sur le barbecue high tech de le la société californienne Impossible Foods. Celle-ci a examiné des produits d’origine animale au niveau moléculaire, puis sélectionné des protéines et des nutriments à partir de légumes, de graines et de céréales pour recréer des aliments au goût de viande. Aujourd’hui, leur burger à base de protéines de blé, de pommes de terre, de noix de coco et de sang végétal (grâce à la leghémoglobine présente dans les racines de soja proche de l’hémoglobine du sang animal) cartonne aux États-Unis. À 12,95 dollars l’unité, il s’en est déjà vendu 1,3 million en 2017 et déjà 2,5 millions en 2018. Si l’avenir semble tout tracé, nonobstant les questions éthiques, écologiques, sanitaires ou de gaspillage, le fait de consommer de la viande d’élevage a-t-il donc encore du sens ? Et d’ailleurs, l’homme doit-il manger de la viande, tout court ? Certains sont en tout cas convaincus du contraire.

RÉGIMES VEGAN EN QUESTION

Il convient d’abord de distinguer le végétarisme du végétalisme ou véganisme (dans sa version intégrale). Le premier régime alimentaire consiste à exclure uniquement la chair des animaux – soit la viande et le poisson –, alors que le second exclut également les oeufs, les produits laitiers, le miel ou même les produits contenant de la gélatine de porc. Les “vegan” refusent généralement toute production d’origine animale, tant pour se nourrir que pour se vêtir ou s’équiper au quotidien. Or c’est ce dernier choix de ne déguster que des aliments issus des végétaux, comme les fruits et les légumes, les céréales ou encore les légumineuses (plantes dont les fruits sont contenus dans des gousses, les haricots par exemple) qui suscite la vigilance, voire la désapprobation des nutritionnistes. « Cela nécessite d’être très bien encadré et requiert d’excellentes connaissances en nutrition, prévient Jenny Deflines, diabétologue et nutritionniste au CHU de Liège. Ce n’est en tout cas pas un régime que je préconise. Les protéines végétales sont moins riches en acides aminés essentiels que les protéines animales ; elles sont par ailleurs mélangées à des fibres qui rendent l’absorption de ces protéines au niveau intestinal plus difficile. »

Ces acides aminés sont les “briques” qui permettent de fabriquer lesdites protéines jouant un rôle crucial dans la structure, le métabolisme et la physiologie des cellules du corps humain. Il en existe une vingtaine, dont huit, considérés comme essentiels, qui doivent être apportés par l’alimentation. Et la “viande”, comparable à la chair humaine, garantit plus facilement cet apport. Être vegan n’est donc pas un choix à faire à la légère, d’autant que, comme le rappelle la Dr Jenny Deflines, certains denrées dites de substitution telles que le steak de soja ou le tofu s’avèrent plus riches en graisse et peuvent entraîner la survenue d’un surpoids trompeur masquant une éventuelle dénutrition protéique. « Peu de personnes savent réellement dans quels aliments se trouvent les protéines. Il y en a essentiellement dans les viandes, les poissons et les produits laitiers mais aussi, en plus faible quantité, dans les légumineuses comme les lentilles et les pois chiches mais quasiment pas dans les légumes mangés plus classiquement dans notre pays », rappelle la médecin, qui prône plutôt le flexitarisme, c’est-à-dire une alternance des régimes alimentaires, à mi-chemin entre le végétarisme et l’étiquette d’omnivore collée à l’estomac de nos semblables.

Pas de contre-indication en ce qui concerne ceux qui mangent végétarien, pour autant qu’ils ne fassent pas l’économie d’oeufs ainsi que de produits laitiers tels que le yogourt ou le fromage, qui contiennent l’ensemble des acides aminés essentiels en suffisance. Ces protéines, encore plus indispensables à la croissance des enfants, aident le corps dans de nombreuses fonctions essentielles et jouent un rôle primordial dans le maintien de la masse musculaire. La viande contient également des vitamines B12 ainsi que du fer, qui demeurent importants pour le cerveau, la synthèse des globules rouges et le renouvellement de certaines cellules. Et gare aux mauvaises sources de vitamine B12, comme la spiruline (une algue) et le tempeh (à base de soja fermenté), qui délivrent une version inactive de la vitamine en question !

TROP DE VIANDE ?

À titre indicatif, et selon sa corpulence ou son état de santé, l’on considère qu’un être humain adulte a un besoin quotidien de l’ordre d’un gramme de protéines par kilo de son poids total. Si 100 grammes de viande contiennent environ 20 grammes de protéines, la proportion est quasiment identique dans les fromages. Par contre, les légumineuses et les céréales contiennent en moyenne 10 g de protéines par 100 g de produit cuit; les légumes, quant à eux, n’en contiennent que quelques grammes par 100 g, pour ce qui est des plus classiques (brocoli, petits pois, etc.). Ces différents types d’aliments doivent dès lors être mangés en plus grandes quantités pour atteindre l’objectif protéique. « Chez les personnes en mauvaise santé et/ou en manque d’appétit, on proposera des aliments contenant des protéines animales afin d’obtenir une quantité de protéines suffisantes au quotidien tout en limitant le volume de la prise alimentaire, l’objectif étant de restreindre leurs pertes en masse musculaire », ajoute Jenny Deflines.

En 2016, les statistiques belges (Statbel) indiquent que chaque habitant a consommé en moyenne 70 kg de viande. « Mais il s’agit d’“équivalents carcasse”. Or il faut en exclure les os, etc. En équivalent “viande”, cela donne 51 kg. Ce qui fait 140 g par jour et par habitant. Il s’agit naturellement d’une quantité estimée et non d’une quantité réelle et l’enquête 2015 réalisée par l’Institut de santé publique avance de son côté une consommation de 114 g par habitant et par jour », décrypte le Pr Antoine Clinquart, de la faculté de Médecine vétérinaire de l’ULiège. Le besoin en protéines pour le Belge moyen n’est donc pas dépassé.

Pour ce qui est du caractère cancerinogène de la viande rouge et de la viande transformée (cancer colorectal, mais aussi du pancréas et de la prostate), l’Organisation mondiale de la santé, liée au Circ, affirme que si le risque augmente avec la quantité, les données disponibles ne permettent cependant pas de déterminer un niveau de sécurité et donc d’une quantité de viande maximale que l’on peut consommer sans danger1. En Belgique, le Conseil supérieur de la santé préconise de ne pas manger plus de 500 g de viande rouge par semaine. Un seuil qui n’est pas dépassé à l’échelle de la population si l’on en croit le cabinet du ministre wallon de l’Agriculture. Les adultes en mangeraient en moyenne 46 g/jour, soit 322 g/semaine. Seuls 20 % des Belges seraient considérés comme de grands consommateurs, susceptibles de dépasser le seuil recommandé. Il convient cependant d’être attentif à l’impact du mode de préparation, en particulier la salaison, qui est problématique.

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CHOISIS TON BOEUF

Par ailleurs, comment aborder l’impact réel des activités d’élevage sur notre environnement ? « Les chiffres mondiaux de la FAO sur la déforestation ne concernent pas la Belgique. En Wallonie, si les prairies occupent 48% de la surface utile agricole, l’élevage n’est pas une cause de déforestation. À l’inverse, elles constituent un garant important du maintien de la biodiversité », soulignent les autorités. Dans les zones non cultivables, en Ardenne notamment, les prairies sont les seules cultures possibles. De plus, l’élevage permet de résister à la pression immobilière.

Une position que partage globalement Isabelle Dufrasne à la faculté de Médecine vétérinaire de l’ULiège. Cette enseignante-chercheuse en nutrition et alimentation des animaux domestiques (directrice du Centre des technologies agronomiques à Strée) explique que les bovins, herbivores et ruminants valorisent les prairies avec lesquelles on ne pourrait rien faire d’autre, en transformant directement les fibres (herbe, fourrage, etc.) en protéines utiles pour l’homme. Leur alimentation est à quatre-cinquièmes composée d’herbe pâturée ou de foin, complétée avec d’autres aliments riches en protéines, produits en Belgique (pois protéagineux ou lupin), ou importés tels que les tourteaux de soja provenant notamment du Brésil. Lorsque la proportion de ces résidus solides résultant de l’extraction d’huile de soja reste faible, l’impact sur l’environnement demeure réduit. On les nourrit également de maïs fourrager et de pulpes de betteraves facilement produits au niveau local. Les porcs et volailles, par contre, mammifères monogastriques, se nourrissent d’une moindre proportion de fibres (seulement 5 à 7% de cellulose brute pour les premiers) et sont nettement plus gourmands en protéagineux, ce qui induit une compétition entre alimentation animale et humaine dans les productions agricoles et entraîne aussi davantage d’exportations d’orge, de soja et de lupin.

Ces pâturages ont en effet la faculté de stocker du carbone et sont susceptibles de compenser en partie les émissions de gaz à effet de serre (CO2). Isabelle Dufrasne détaille : « Dans les 30 premiers centimètres du sol, cela représente 70 tonnes de carbone emprisonné par hectare et par an pour les prairies permanentes ou les forêts, contre 43 kg pour les terres de culture arable. La conversion d’une prairie permanente vers une culture arable se solde par une perte de 0,95 tonne de carbone par hectare et par an. La perte est, par contre, minime si on convertit un bois en prairie permanente. Et si c’est un bois converti en culture arable, on perd 0,75 tonne. »

En 2016, les statistiques fédérales établissent que, hors volailles, un peu plus de 12 millions d’animaux ont été abattus en Belgique. Ce qui représente une légère hausse (1,21%) par rapport à l’année 20002. Malheureusement, par rapport au poids de viande que cela représentait en 2017, il s’agissait majoritairement de porc (un milliard de kilos), de 461 millions de kg de volaille et de 270 millions de kg de bovins. Des chiffres impressionnants qui montrent le développement de la filière porcine, six fois plus importante qu’au milieu du siècle dernier et largement tournée vers l’exportation. Plus de la moitié de ce qui est produit chez nous part en effet majoritairement en Europe (90%), principalement en Allemagne mais aussi en Pologne, aux Pays-Bas et en France.

PROTÉINES RAMPANTES

Et si le salut venait des insectes ? 2000 espèces comestibles ont d’ores et déjà été répertoriées dans le monde.

Insectes À Liège, “Les bouchers verts”, un restaurant situé rue de la Madeleine, les propose déjà exclusivement à son menu. Criquets et grillons servent de grignotage apéritif, tandis que les vers de farine sont l’ingrédient principal des burgers cuisinés et sont aussi incorporés dans le processus de fabrication des pâtes. « On retrouve dans les insectes l’ensemble des acides aminés nécessaires à une alimentation équilibrée, souligne Rudy Caparros, premier assistant au laboratoire d’entomologie de Gembloux Agro-Bio Tech. Ils contiennent plus ou moins 20% de protéines, soit l’équivalent de la viande animale, mais aussi 10 % de glucides et 20% de lipides. En matière sèche, ils en contiennent même autour de 50% de protéines. » Pour les produire, l’avantage est de pouvoir utiliser les déchets agricoles ou agro-alimentaires pauvres en protéines… pour arriver in fine à un aliment qui en contient beaucoup. Problème : seul le ver de farine est facile à élever sous notre climat. Et passé la barrière psychologique des habitudes alimentaires, ces petites bestioles restent chères (100 euros/kg pour des vers de farine séchés ; 400 euros/kg pour des criquets), car le business reste encore très peu développé.

À la fin du mois de juin, la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT) demandait emphatiquement la protection de la police pour ses membres, parlant de violences physiques, verbales, morales subies régulièrement par les artisans bouchers-charcutiers, notamment de la part de militants vegan. Il n’est pas encore fait état d’une situation aussi alarmante en Belgique, et gageons que des défenseurs virulents de la cause des… insectes ne monteront pas au créneau dans les prochaines années. Pour ce qui est de la viande animale, dans l’optique où sa consommation n’est clairement pas une obligation vitale, la sagesse suggère la voie “flexitariste” du milieu mais aussi le respect des choix de chacun, au quotidien.

Et quid pour les sportifs réguliers ?

Plus la charge d’entraînement des sportifs est importante et plus la dépense énergétique l’est aussi. Les sportifs réguliers doivent donc ingérer davantage de calories que les personnes sédentaires (plus de deux fois plus pour beaucoup d’entre eux). Mais s’il doit être capable d’effectuer ses entraînements et de progresser sans fatigue excessive, l’athlète doit aussi favoriser une bonne récupération et permettre le développement puis le maintien d’une bonne musculature. Tout en limitant le stockage de lipides, c’est-à-dire éviter l’augmentation d’une masse grasse non fonctionnelle qui limiterait la performance (un minimum de graisse est cependant souhaitable pour résister au froid et aux infections).

Le végétarisme constitue une option intéressante pour les sportifs et beaucoup d’entre eux ont adopté ce mode alimentaire.

L’apport en vitamines et antioxydants des fruits et légumes est intéressant. Il faut par contre reconnaître qu’à volume égal les végétaux contiennent généralement moins de protéines que les viandes. « Mais la consommation de viande n’est pas que bénéfique pour les sportifs : un excès de protéines animales peut favoriser l’apparition de tendinopathies », rappelle Sébastien Varetto, médecin généraliste certifié en médecine du sport.

Les protéines dites “végétales” restent moins génératrices de déchets lors de leur digestion. Elles sont également moins souvent associées aux graisses dans les aliments (au contraire de la viande rouge par exemple). Certains aliments comme les légumineuses et le quinoa sont ainsi très appréciés par les sportifs qui veulent maintenir leur capital musculaire en limitant l’absorption de graisses.

Il est cependant plus que conseillé de ne pas improviser un régime végétarien. Il s’agit de veiller à assurer un apport protéiné suffisant via les légumineuses, les oeufs et les produits laitiers. Attention également aux carences en fer qui diminueraient les performances. Cet élément est présent en grande quantité dans les viandes et tout particulièrement la viande rouge… mais aussi dans certains végétaux comme les épinards et les brocolis qui pourront compenser.

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