Le sport, tout bénef…

Visite d'un centre dédié à la revalidation après cancer

Dans Univers Cité
Dossier Julie LUONG - Photos Jean-Louis WERTZ

Si le sport joue un rôle important dans la prévention du cancer, il constitue un élément central dans la réadaptation fonctionnelle et la qualité de vie après le traitement. En 2019, l’ULiège et le CHU de Liège ont inauguré un programme d’exercices spécifique pour les patients, avec à la clé des bénéfices sur la santé physique, psychique et la réduction du risque de rechutes.

Bicyclettes ergonomiques dernier cri, tapis de course, machines d’entraînement musculaire : c’est au cœur des installations sportives de l’ULiège et du CHU de Liège, sur le site du Blanc Gravier, que l’équipe du Pr Jean-François Kaux, sous la direction de Didier Maquet, professeur au sein du département des sciences de la motricité de l’ULiège, a inauguré en 2019 un centre dédié à la revalidation après cancer. Chaque année, quelque 200 patients y suivent un programme personnalisé mis au point par des médecins spécialistes en médecine physique et des kinésithérapeutes.

« Tout part d’une étude sur l’intérêt de la prise en charge réhabilitative post-cancer du sein démarrée en 2013-2014 dans sept hôpitaux belges dont le CHU de Liège, alors seul hôpital francophone participant », explique Didier Maquet. Menée sur trois ans, cette étude a permis d’évaluer les bénéfices d’une séance psycho-éducative et de trois séances d’activités de réadaptation par semaine (durant 12 semaines) chez plus de 100 patientes traitées  pour un cancer du sein, comparativement à un  groupe contrôle. « On a montré qu’un tel programme permettait d’améliorer la gestion du stress et de l’anxiété liée notamment à la peur des rechutes, mais aussi de corriger les troubles du sommeil, la fonction cardio-respiratoire et musculaire, la composition corporelle (en permettant de limiter l’augmentation de la masse grasse), etc. » Une thèse de doctorat – “Étude fonctionnelle et de qualité de vie des patientes traitées pour un cancer du sein : intérêt de la prise en charge rééducative multidisciplinaire” –, défendue en 2018 par Anne-France Leclerc, permet de synthétiser et de documenter ces résultats. « Nous avons obtenu des effets assez spectaculaires, à large spectre, sur différents paramètres », poursuit Didier Maquet.

DES EFFETS DOCUMENTÉS

Une telle approche s’inscrit dans le courant en plein essor de l’“exercise medecine”, soit « l’adaptation d’une activité physique progressive et adéquate dans l’objectif de contrecarrer les effets néfastes d’une maladie et d’agir en prévention secondaire sur les récidives. L’activité physique permet d’améliorer la santé et les paramètres psychosociaux associés », détaille Jean-François Kaux, chargé de cours à l’ULiège et chef de service en médecine physique et traumatologie du sport au CHU de Liège. « Ce genre de prise en charge existait déjà pour d’autres maladies, avec la revalidation cardiaque par exemple », précise le spécialiste.

L’amélioration des traitements et de la survie des patients oncologiques a récemment permis de leur ouvrir ce type de prise en charge. « Les patients oncologiques sont particulièrement fragilisés par la maladie et les traitements, poursuit Jean-François Kaux. Il y a une composante de fatigue et d’épuisement beaucoup plus grande que dans d’autres maladies, avec un déconditionnement majeur et une fonte musculaire significative, de même qu’une atteinte fréquente des nerfs (polyneuropathie) liée aux traitements. C’est une prise en charge assez intense, qui nécessite de rester particulièrement précautionneux. »

Un investissement payant puisque les bénéfices à long terme sont aujourd’hui largement documentés. « La littérature internationale montre que non seulement les patients qui suivent ce genre de programme présentent moins de rechutes, mais qu’ils vivent plus longtemps », détaille Guy Jérusalem, professeur à l’ULiège et chef du service d’oncologie au CHU de Liège. Ces bénéfices s’expliquent d’une part par les effets du sport sur le surpoids, considéré comme un facteur de risque dans le cancer, mais aussi par son action sur différents paramètres métaboliques. « La pratique d’exercices physiques réguliers agirait sur la réduction des taux d’insuline et autres facteurs de croissance avec une hausse de la sensibilité à l’insuline et de la captation du glucose par le muscle », précise Didier Maquet.

Sans compter les effets positifs de l’activité physique sur le système immunitaire et la gestion du stress. « Si on pouvait mettre le sport dans une gélule médicamenteuse, ce serait certainement la gélule la plus prescrite dans le monde ! », résume Didier Maquet. En raison de ces divers atouts, l’activité physique est aussi, il faut le rappeler, un élément central dans la prévention primaire, avec une réduction des risques de cancer de 10 à 20 %. « Les effets du sport dans la prévention du cancer sont bien démontrés, en particulier pour le cancer du sein, du côlon et de l’endomètre », rappelle Guy Jérusalem. « Bien sûr, il ne s’agit pas de faire culpabiliser les patients : ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas bougé qu’ils ont eu un cancer, souligne Didier Maquet. Celui-ci a des causes multifactorielles. Néanmoins, quand on sait que les effets du sport sur la prévention valent aussi en termes de limitation du risque de récidives, cela peut être motivant. »

LE SPORT, UN BON PSY

Si la prise en charge proposée par l’ULiège et le CHU de Liège est ouverte à tous les patients en oncologie – qu’ils aient été ou non traités au Sart-Tilman – , les patientes ayant eu un cancer du sein y demeurent majoritaires. Cela s’explique par l’incidence de ce cancer et le taux de guérison élevé ainsi que par les répercussions spécifiques du cancer du sein sur le quotidien. « Le cancer en soi, c’est déjà difficile mais, avec le cancer du sein, on touche à toute une série de symboles pour la femme, la féminité, la sexualité, etc., commente Guy Jérusalem.  Il n’y a pas que les effets secondaires des traitements, mais beaucoup d’impacts au niveau psychologique et au niveau de la réinsertion professionnelle, sociale, familiale. Il ne s’agit donc pas seulement de donner le meilleur traitement au niveau technique mais de donner le meilleur encadrement possible pour que la vie après soit la plus normale possible. »

Et si un soutien psychologique est systématiquement proposé aux patientes, le sport peut avoir des effets tout aussi bénéfiques sur la qualité de vie. « Tout patient n’a pas envie d’aller chez le psychologue, même s’il est évident qu’il y a une détresse psychologique, poursuit Guy Jérusalem. Nous avions d’autres outils comme le yoga ou l’autohypnose, cependant les collaborations avec le Pr Maquet et le Pr Kaux nous ont mis sur la piste du sport. Sur l’ensemble des patients, entre le psy ou le sport, 80 % choisissent le sport. »

Idéalement, les patients sont informés dès le diagnostic de l’existence de ce programme, ce qui leur permet de se projeter positivement et activement dans leur traitement. Ils doivent ensuite être informés de la potentielle difficulté des premières étapes de la réadaptation fonctionnelle, afin de ne pas se décourager. « L’état de déconditionnement des patients après la maladie est parfois assez important, précise Didier Maquet. Non seulement il y a l’épreuve du diagnostic mais aussi les traitements, la chirurgie, les effets secondaires. Les personnes, sportives ou non, sont souvent très diminuées dans la vie de tous les jours. Aujourd’hui, la période post-cancer est d’ailleurs considérée comme une affection chronique. »

Le programme de réadaptation fonctionnelle correspond aux recommandations internationales concernant les affections chroniques, soit une activité de 150 minutes par semaine (voire 75 minutes si l’activité est plus soutenue), combinant activité aérobie (entraînement cardiorespiratoire), activité d’entraînement des grands groupes musculaires (avec faible charge ou poids du corps) et activité d’étirement et de gainage. « Ces recommandations valent aussi dans le cadre du vieillissement en bonne santé », indique Didier Maquet. Collectives, les activités permettent d’entretenir la motivation et le lien social, tout en préservant les bénéfices d’un suivi personnalisé. « Chaque patient qui souhaite suivre le programme passe deux visites médicales, l’une portant sur l’appareil locomoteur et l’autre sur la physiologie de l’effort. On s’assure ainsi qu’il n’y pas de contre-indications à la réhabilitation et on évalue l’état fonctionnel d’entrée du patient, ce qui va permettre aux kinés de fixer des charges d’entraînement spécifiques sur les différents dispositifs. Cette individualisation est importante car on se retrouve souvent avec des groupes hétéroclites, où des patients de 60-70 ans côtoient des patients de 40 ans. »

UN CONTINUUM

Au-delà des effets spécifiques du sport sur la qualité de vie du patient oncologique, la réhabilitation fonctionnelle témoigne d’un tournant dans la prise en charge du cancer. « Avant, on traitait plus le cancer qu’un individu. Autant la prise en charge pouvait être parfaite, autant il pouvait y avoir des lacunes au niveau du soutien du patient et de sa famille », analyse Guy Jérusalem, devenu oncologue suite à la disparition de son frère, décédé d’un cancer à l’âge de 21 ans. « J’ai été sensibilisé à ces aspects d’empathie que j’ai essayé d’imprégner dans mon service d’oncologie. Il faut aussi avoir conscience que ce n’est pas parce qu’un cancer n’est pas curable qu’on ne peut pas le soigner : les années de vie gagnées sont d’une richesse extrême quand le patient est bien accompagné. »

Le sport, par ses effets sur la confiance en soi et ses aspects de convivialité, participe pleinement de cette vision des soins. « Au CHU de Liège, on considère que les traitements ne sont qu’une partie de la prise en charge : l’activité physique, l’éducation du patient et la réhabilitation doivent faire partie intégrante du trajet de soins, au même titre que la chimiothérapie ou la radiothérapie », commente Didier Maquet. C’est dans cette perspective de médecine intégrative, qui place le patient au cœur du traitement, que le CHU de Liège ouvrira bientôt – dans le nouveau centre intégré d’oncologie – “Oasis”, un centre de bien-être, où les personnes traitées pour un cancer pourront bénéficier de massages, de soins esthétiques, de séances de relaxation et de yoga ou encore d’ateliers diététiques.

« Notre objectif est d’offrir un continuum au patient, commente Didier Maquet. J’ai entendu un jour une malade expliquer que la période la plus difficile était celle qui suivait le traitement. Au moment du diagnostic, bien sûr, on est abattu mais on bénéficie du soutien du milieu médical et de l’entourage. Ensuite, quand le traitement permet de venir à bout de la maladie, on a un sentiment de victoire mais, en même temps, il y a une séparation qui a lieu tout à coup d’avec le milieu médical et, parallèlement, une diminution du soutien de l’entourage. On se retrouve donc souvent seul dans une situation où rien ne va plus comme avant… »

CITOYEN SPORTIF

Dans cette optique de continuité, Didier Maquet et son équipe ont également développé le projet “Citoyen sportif, j’agis pour ma santé”. « Dans la majorité des cas, les patients retirent tellement de bénéfices du programme de revalidation qu’ils ne veulent pas arrêter ! Par ailleurs, ils nous rapportent qu’ils ne trouvent pas nécessairement ce qu’ils recherchent dans le milieu associatif ou sportif traditionnel », observe-t-il. Volontiers orientée vers la performance, la pratique sportive telle qu’elle se décline dans les clubs et salles de sport n’est pas toujours adaptée à l’affection chronique. Pour autant, poursuivre une activité physique sur le long terme est essentiel pour continuer à en éprouver les bénéfices. « Grâce à un soutien de la Fondation contre le cancer, nous avons donc inauguré fin 2019 le projet “Citoyen sportif” pour promouvoir le sport après un cancer au niveau locorégional. Nous avons travaillé avec trois communes pilotes : Ans, Chaudfontaine et Waremme », raconte Didier Maquet.

Objectif : aller à la rencontre des patients là où ils vivent pour leur proposer une activité de groupe d’une heure et demie par semaine, encadrée par du personnel du CHU et totalement gratuite. « Chaque participant reçoit également un kit de matériel sportif. Au fil des semaines, l’idée est de l’encourager à reproduire une activité autonome, chez lui, grâce à des fiches explicatives et des vidéos. » À terme, l’idée est que le patient devienne autonome dans sa pratique, choisisse un sport qui lui plaît et s’y tienne. « Le plaisir est un élément essentiel, souligne Didier Maquet. Sinon, on laissera forcément tomber. Même quand on est en bonne santé, combien de fois s’est-on dit : demain, je m’y remets ? Alors quand on est malade… »

Un soutien de la Fondation Léon Fredericq a récemment permis au projet de s’étendre à de nouvelles communes (Ouffet, Amay, Nandrin, Marchin et Hannut). «  Il y a vraiment un engouement et on espère que le programme pourra prendre de l’ampleur rapidement, parallèlement au développement de l’activité de recherche dans le sport santé. Le pouvoir politique est aujourd’hui conscient de l’importance de l’activité physique. Une personne qui va mieux est aussi une personne qui s’absentera moins du travail. Investir dans le sport fait partie de la santé publique. »

Car si on sait que le sport est “bon pour la santé”, les obstacles à la pratique demeurent nombreux, qu’ils soient environnementaux, motivationnels ou liés à la douleur. En ce sens, les vœux pieux et autres injonctions ne suffisent pas : l’éducation du patient est essentielle. « La fatigue chronique est l’un des symptômes les mieux documentés dans le cancer et l’un des mieux soulagés par la pratique sportive. Mais il faut prendre le temps d’expliquer aux patients que le repos n’a jamais soulagé la fatigue chronique, qui est destructive à tout niveau, et qu’il faut donc casser ce cercle vicieux », note Didier Maquet.

De même, le spécialiste attire l’attention sur l’ambivalence du terme “actif”, qui pourrait faire croire à bon nombre d’entre nous qu’ils “bougent” suffisamment… « Aujourd’hui, beaucoup de gens qui courent toute la journée ont l’impression d’être “actifs”. Or, il est recommandé (en l’absence de contre-indication et de facteurs agissant sur le rythme cardiaque) de pratiquer 150 minutes d’activité physique par semaine à 50 ou 75 % de sa fréquence cardiaque maximale théorique, à savoir 220 moins son âge, soit 180 pulsations par minute pour une personne de 40 ans. Sur une journée éreintante entre le boulot, les enfants et les courses, généralement, on n’effectue pas une seule minute à cette fréquence, c’est-à-dire entre 90 et 135 pulsations par minute pour une personne de 40 ans. » Débordé donc ne veut pas dire actif…

PATIENT PAS PASSIF

Pour de nombreux patients, le cancer constitue d’ailleurs un coup d’arrêt, vécu parfois comme salvateur. Une occasion de se remettre en question, de revoir ses priorités et de changer de rythme de vie. « Certaines personnes de 70 ans n’avaient jamais fait de sport de leur vie et le découvrent à cette occasion », raconte Didier Maquet.« Faire du sport après un cancer, c’est aussi prendre du temps pour soi », relève Guy Jérusalem. Jean-François Kaux observe pour sa part que si certains patients parviennent à retrouver leurs capacités antérieures, d’autres les dépassent ! « Des patients, qui étaient sédentaires, ne pratiquaient aucune activité physique et avaient parfois d’autres comorbidités comme l’alcoolo-tabagisme réussissent à atteindre une condition physique meilleure après leur maladie. C’est pourquoi l’exercise medecine est une approche en plein essor : on développe aujourd’hui des collaborations en diabétologie, dans les maladies inflammatoires chroniques, dans la chirurgie bariatrique, et ce afin que les patients prennent conscience de l’importance de l’activité physique. Un projet de prise en charge de patients greffés est à l’étude aussi. »

La réhabilitation fonctionnelle après un cancer témoigne, par ailleurs, d’une nouvelle dynamique relationnelle entre patient et médecin. « Avant, on était très paternaliste ou maternaliste. Certains médecins restent directifs, mais ils sont de plus en plus nombreux à écouter les patients », analyse Guy Jérusalem. « Dès le moment du diagnostic, le patient devient dépendant du milieu médical et le médecin exerce inévitablement un certain pouvoir sur le patient, estime Didier Maquet. Bien sûr, le patient peut aussi exercer un pouvoir sur le médecin, mais il y a tout de même à la base un déséquilibre majeur, d’autant que le patient est en situation de vulnérabilité. C’est pourquoi il faut encore beaucoup travailler à expliquer les choses pour qu’il puisse être véritablement acteur de ses soins. » La longue expérience d’oncologue de Guy Jérusalem lui a par ailleurs appris que le succès des médecines parallèles s’expliquait en partie par le désir du patient de faire quelque chose pour lui-même, et non seulement d’obéir à son médecin. « Ce que je ressens avec mes patients qui se tournent vers les médecines parallèles, c’est qu’ils veulent faire quelque chose, que la famille veut faire quelque chose. Il faut les laisser exprimer ça. Et si la médecine parallèle est bien accompagnée, qu’il ne s’agit pas de dépenser des sommes colossales et que ça n’interfère pas avec les traitements, j’y suis tout à fait ouvert. Mais malheureusement, il y a tellement de charlatans qui s’enrichissent aux dépens des patients… Je crois en tout cas que si le patient pouvait être davantage acteur dans ses soins, il y aurait peut-être moins de recours à la médecine parallèle. »

Parce qu’il permet une mobilisation active et conjointe du corps et du mental, l’exercice physique participe à ce changement de paradigme, où le patient n’est plus passif et où l’empathie et le dialogue sont au cœur du lien thérapeutique. « En faisant du sport, on n’est plus le malade qui subit dans son lit. On se bat contre la maladie. Et une fois qu’on retrouve confiance en son corps, on trouve de l’énergie pour aller de l’avant », estime encore Guy Jérusalem. Quand le mouvement engendre le mouvement… Au-delà du CHU, le projet “Citoyen sportif, j’agis pour ma santé” entend favoriser une activité sportive encadrée et gratuite.

Partager cet article