Passeur d’histoires

Conférence de Cyril Dion

Dans Univers Cité
Entretien Thibault GRANDJEAN - Dessin Julien ORTEGA

Le 4 octobre, le réalisateur et militant écologiste Cyril Dion donnera une conférence à Arlon campus Environnement pour clôturer l’année Go.Transition.s

Raconter une autre histoire, bousculer notre façon de voir le monde pour comprendre que ce n’est que ça, justement, une façon de voir, et qu’il en existe de nombreuses autres. Tel est le grand projet de Cyril Dion. Directeur du mouvement de transition écologique Colibris jusqu’en 2013, le militant écologiste et écrivain s’est lancé dans l’aventure du documentaire Demain paru en 2015, coréalisé avec Mélanie Laurent et vu par des millions de personnes. « Les êtres humains ne fonctionnent que via des narrations, explique-t-il. Comme le dit si bien l’écrivaine Nancy Huston, raconter des histoires, c’est notre façon d’être au monde. Nous passons notre vie entière à percevoir la réalité par bribes, depuis notre toute petite fenêtre, et nous essayons d’organiser ce que nous percevons dans des constructions narratives et de sens. »

Raconter des histoires donc, pour partager sa subjectivité avec d’autres. « C’est ainsi qu’elles deviennent des structures religieuses, politiques ou économiques, voire des conventions culturelles, enchaîne le réalisateur. Pour moi, il est indispensable de prendre conscience que nous vivons dans un tel récit. Notre système économique est une immense convention artificielle, qui n’a rien d’immuable. Une fois cela compris, on réalise que ce qui a été fait peut être défait. »

C’est dans cette optique que Cyril Dion a réalisé Demain. Le film prend comme point de départ une étude parue en 2012 dans la prestigieuse revue Nature, et qui alertait sur un possible effondrement généralisé des écosystèmes de la planète, peut-être dès 2040. Et ce, à cause de l’influence humaine, de la croissance démographique et de notre mode de vie. « Nous avions pour but de montrer qu’il s’agit d’un enjeu systémique, en regardant notre organisation humaine, ses rouages et ses clés de voûte, et en proposant d’autres voies. Nous souhaitions vraiment montrer que la solution à cet effondrement se trouve dans une transformation de notre civilisation et de notre modèle sociétal, et pas seulement dans l’économie de quelques tonnes de carbone », résume-t-il.

Le film Demain déroule cet argumentaire comme une pelote de laine. « Dès que l’on tire sur un fil, c’est tout l’édifice qui s’écroule, estime Cyril Dion. La première question est celle de la transformation de l’agriculture, afin de nourrir 12 milliards d’êtres humains à la fin du siècle. Elle implique inévitablement d’interroger notre énergie, puisque tout le système agricole dépend du pétrole. En cherchant alors comment engager la transition énergétique, on constate qu’il y a un problème de financement et qu’il s’agit au fond d’une problématique économique, liée à la notion de croissance. Cette dernière est mécaniquement nécessaire en raison de la manière dont la monnaie est créée. Souhaiter transformer la monnaie et ses modalités économiques, c’est vouloir changer les lois qui les régissent. Et c’est à ce moment qu’on réalise que nous avons un réel problème démocratique, car les orientations politiques sont déterminées et influencées par des intérêts privés. »

LA FABRIQUE DES HÉROS

DionCyril-VertSuffirait-il alors d’une volonté populaire pour changer de système ? Pour le militant, le problème est plus profond : « La volonté populaire manque parce que nous n’y sommes pas éduqués, regrette-t-il. Le maire de Grenoble Éric Piolle, qui témoigne dans le film Après demain, a plusieurs fois tenté de lancer des initiatives de démocratie participative. Et il nous a dit toute la difficulté que cela représente. Comme le reste, la démocratie s’apprend. Avoir envie de s’impliquer dans la société est une responsabilité qui s’enseigne dès le plus jeune âge, et cela passe par une transformation de nos systèmes éducatifs. »

Mais aussi par d’autres modèles. Dans ses derniers ouvrages, le sociologue Bruno Latour pointait le manque de fierté qui habite les écologistes, au contraire des autres bords politiques. Une analyse que partage Cyril Dion. « Je cherche à faire en sorte que les gens qui regardent mes films s’identifient aux personnages mis en scène. De cette manière, je souhaite transformer la représentation de ce qu’est un héros, de ce qu’on a envie d’être. Au lieu de vouloir être influenceur à Dubaï, on peut avoir envie d’être quelqu’un qui fait de la permaculture, qui donne un sens à son existence, et qui est utile aux autres. »

Cette force de l’imaginaire, le réalisateur la retrouve dans la période qui a précédé les premiers pas sur la Lune. Si l’exploit a été possible, c’est grâce à l’impulsion donnée par le président Kennedy, mais également au contexte culturel. À l’époque, les récits de science-fiction étaient nombreux, en particulier ceux de Robert Heinlein, dont on dit qu’il a créé le désir d’espace chez les Américains. Pour cette raison, Cyril Dion vient de lancer avec Marion Cotillard une nouvelle société de production, Newtopia, dans le but de concevoir des films et des séries qui « proposent d’autres imaginaires de l’avenir. Pour construire un autre monde, il faut commencer par pouvoir l’imaginer. »

Reste que si le film Demain traçait les contours problématiques de l’organisation humaine, il ne parlait guère de l’effondrement de la biodiversité, un des facteurs-clés de la préservation des écosystèmes. C’est chose faite avec le documentaire Animal, sorti en 2021. « Malheureusement, depuis quelques années, et en particulier depuis les COP, la question écologique est souvent réduite à la question climatique, fustige Cyril Dion. Cela m’a donné envie de mettre l’accent sur la question de la biodiversité, mais avec la même démarche que Demain, c’est-à-dire en s’adressant au coeur du problème, à savoir notre relation au reste du monde vivant, et la façon dont on se situe, nous les êtres humains. »

Au lieu du road-trip planétaire à la recherche de solutions, le réalisateur a choisi cette fois de montrer au spectateur les grandes causes de l’érosion de la biodiversité, comme la perte d’habitat, la surexploitation ou encore la pollution. Avec un constat récurrent à travers le film : en se coupant de la nature, nous avons perdu notre sensibilité au monde vivant. « L’anthropologue Philippe Descola disait qu’il était urgent d’amener les gens dans la nature, car au fond on ne protège que ce que l’on aime, et on n’aime que ce que l’on connaît. Or, si on passe notre temps dans des villes, la perte de connexion est inévitable. »

Replacer l’être humain à sa juste place, donc, en tant qu’animal parmi les autres. Mais aussi lutter contre les inégalités sociales, qui ne sont pas sans rapport avec notre regard sur le reste du vivant. « Il y a des similitudes dans la façon dont les hommes traitent les écosystèmes et la manière dont ils considèrent les femmes. Nous avons chosifié les écosystèmes comme nous avons chosifié les femmes, en les transformant en objets dont on peut disposer pour sa propre jouissance et son propre plaisir. Des études montrent que si on laisse à chaque femme le choix, non seulement de ses études mais également de devenir mère ou non, il y aurait 1,8 milliard d’êtres humains en moins sur Terre à la fin du siècle. Or la question écologique est intiment liée à la question démographique. Il est donc intéressant de voir que la question de l’écoféminisme n’est pas juste une grande idée, mais qu’elle a des répercussions bien concrètes. »

Dans ce contexte, l’angle choisi dans Animal n’est pas innocent. En choisissant de montrer la destruction de la biodiversité à travers les yeux de deux adolescents activistes pour le climat, le réalisateur donne la parole à une génération très concernée par l’avenir de la planète, mais souvent traitée avec condescendance par ses aînés. « Comment ne pas comprendre qu’avoir entre 15 et 25 ans aujourd’hui est extraordinairement angoissant ? », s’interroge le réalisateur. « Leur avenir est sombre, d’autant plus que les générations précédentes ont refusé de s’occuper de ce problème. Il faut écouter cette jeunesse et travailler avec elle. Si elle est dans la rue aujourd’hui, c’est bien parce qu’elle a l’impression que personne n’est aux commandes. Et nous n’avons pas le temps d’attendre qu’elle prenne les choses en main : nous sommes la première génération à mesurer les conséquences tangibles du changement climatique et la dernière à pouvoir y faire quelque chose », insiste-t-il.

ACTIONS CITOYENNES

Pour Cyril Dion, agir pour le climat, ce n’est pas seulement faire des films ou descendre dans la rue. Il est également nécessaire de rentrer dans le débat démocratique. Pour cette raison, il a choisi d’accompagner l’initiative de la Convention citoyenne pour le climat en France, dont il était un des garants. Cette assemblée, constituée de citoyens tirés au sort et représentatifs de la société française, s’est penchée pendant plusieurs mois sur les preuves du réchauffement et sur les moyens à mettre collectivement en oeuvre pour limiter la hausse des températures. « La Convention a fait la démonstration qu’il existe d’autres moyens de pratiquer la démocratie, estime-t-il. À mon sens, le tirage au sort et la délibération citoyenne sont une des voies indispensables pour résoudre nos problèmes, car il est impossible pour un pouvoir politique de prendre des décisions qui vont à l’encontre des intérêts économiques qu’il défend. La seule solution passe par les citoyens, qu’ils se saisissent eux-mêmes du problème. Personne n’aime se voir imposer des contraintes. En revanche, les gens sont prêts à essayer de résoudre le problème lorsqu’on leur en offre la possibilité. »

La Convention a formulé 149 propositions, regroupées en cinq thématiques, afin de changer nos modes de vie, d’aller vers plus de sobriété. Ces propositions ont été largement approuvées par ses membres ainsi que par le public (cf. des sondages effectués auprès de la population). « Des citoyens éduqués ont élaboré un plan qui va plus loin que tout ce que les gouvernements ont fait ces 30 dernières années. Ce n’est pas neutre, surtout lorsqu’on entend les politiques dire que les gens ne sont pas prêts », assène Cyril Dion.

Les propositions de la Convention ont notamment choisi de ne faire aucun pari technologique, comme la capture de carbone, largement débattue à l’heure actuelle. « Ils ont été très conservateurs au sens noble du terme, sourit-il. D’ailleurs, le troisième volet du rapport du GIEC ne dit pas autre chose : nous savons ce qu’il faut faire et pour une bonne partie, nous sommes capables de le faire. Ce dont nous manquons avant tout, c’est d’une volonté politique. » Cette absence a culminé avec la loi Climat. Censée retranscrire les propositions de la Convention, nombre d’entre elles ont été éludées ou édulcorées. « Aller au bout de la logique aurait consisté à soumettre les propositions à un référendum, soupire le militant. Mais comme le président Macron en a décidé autrement, les intérêts privés ont pesé de tout leur poids sur les différents ministères pour transformer et amoindrir les propositions. Notre problème est là : à la fin, ce ne sont pas les populations qui décident, mais ce qu’on a coutume d’appeler les lobbies. 80 % des décisions publiques sont orientées par des intérêts privés. Nous avons fondamentalement un problème démocratique. Pour résoudre la question écologique, il est indispensable de s’y atteler. »

« L’écologie, ce n’est pas construire des voitures électriques ou des éoliennes. C’est comprendre comment l’ensemble des systèmes vivants peuvent fonctionner de façon harmonieuse et s’équilibrer, et donc in fine comprendre comment la vie peut se perpétuer sur cette planète. En réalité, c’est une science de la survie ! Malheureusement, ce n’est pas encore assez évident pour tout le monde », conclut Cyril Dion.

Go Transition.s

Durant l’année académique 2021-2022, le campus Arlon Environnement, qui abrite le département des sciences et gestion de l’environnement, a saisi l’occasion de son 50e anniversaire pour se transformer en un “laboratoire ouvert pour les transitions écologiques du territoire”. Rassemblées sous la bannière du projet “GO Transition.s”, des activités multiples (rencontres, débats, ateliers) ont rythmé le calendrier et permis de prendre la mesure des enjeux à l’heure où l’urgence climatique exige une accélération de la transition écologique. Afin de clôturer en beauté cette année riche de réflexions et d’échanges où expert·es et citoyen·nes se sont rencontré·es, le campus présentera, le 4 octobre prochain, ses ambitions pour développer la transition écologique.

Programme du mardi 4 octobre :
18h30 : conférence de Cyril Dion, réalisateur des documentaires Demain et Animal, “Le rôle du cinéma dans la création des imaginaires”.
Puis débat animé par Pascal Claude sur les transformations vitales qu’appelle la transition écologique en présence de Cyril Dion, de Jacques Crahay, président du l’Union wallonne des entreprises (2018-2020), et de la Pr Sybille Mertens (économie sociale).

À la Maison de la culture, Parc des expositions 1, 6700 Arlon.
https://www.gotransitions-arlon.uliege.be/

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