Espace vital

Raphaël Liégeois, nouvel astronaute titulaire de l’Agence spatiale européenne

Dans Omni Sciences
Texte Henri DUPUIS – Photos Sandrine Seyen

Raphaël Liégeois a été choisi, avec quatre de ses compagnons, en tant que nouvel astronaute titulaire de l’Agence spatiale européenne (ESA). Et ce parmi 22 523 candidats. Un diplômé de l’ULiège pour qui l’espace n’est pas la seule dernière frontière : la compréhension de notre cerveau en est une autre

Je me souviens
C’était alors
Un film intitulé
La
Terre
Le clair de lune était si beau qu’il n’y avait
plus qu’à se taire

Ces vers de Louis Aragon, extraits de Cette vie à nous, disent beaucoup de Raphaël Liégeois, le nouvel astronaute belge. En 2017, quand vient le moment de quitter Singapour, ses deux années de postdoctorat achevées, son épouse Marine et lui s’offrent un curieux voyage de noce : rentrer en Europe à vélo ! Un périple de cinq mois et 15 000 km à travers une douzaine de pays. Mais en donnant, à travers de petits reportages réalisés pour la télévision locale namuroise, la parole à des poètes des pays traversés. Car le jeune Namurois aime la poésie, Aragon ou Brel en particulier. « La poésie était une manière originale d’entrer en contact. Les personnes qui prennent quelques heures pour écrire ou apprendre un poème et le réciter ont des choses importantes à dire. Comme à Singapour, ces ouvriers du Bengladesh qui, le soir venu, après avoir travaillé des heures sur les chantiers de construction, écrivaient des poèmes sur leur vie d’expatriés dans des conditions bien plus dures que celles que nous vivions. »

Rêvait-il alors déjà, comme Aragon, à la Terre et au clair de lune ? Sans doute. Mais c’est peut-être un autre auteur qui l’aura davantage influencé dans ses choix : Stefan Zweig et sa remarquable biographie de Magellan. « C’est un des premiers livres que j’ai lu d’une traite, sans m’arrêter, avoue-t-il aujourd’hui. J’y ai découvert l’importance d’avoir un projet auquel on croit, qui fait vibrer. Ce qui m’a attiré aussi, c’est le côté exploration, le côté aventure et le dépassement des limites de l’exploration humaine. » Un recul des limites qui est aussi à l’oeuvre dans la conquête spatiale comme dans la recherche scientifique. Une phrase de Zweig a dû faire vibrer le jeune Raphaël : “Ce n’est jamais l’utilité d’une action qui en fait la valeur morale. Seul enrichit l’humanité, d’une façon durable, celui qui en accroît les connaissances et en renforce la conscience créatrice.” Mais si l’adolescent rêve de l’espace, il ne s’est jamais senti obligé de concrétiser ce rêve. « Je n’ai jamais construit ma vie sur ça. Si je n’étais pas devenu astronaute, je ne me serais jamais dit à 50 ans que j’aurais raté ma vie », sourit-il aujourd’hui.

NEUROSCIENCES

Poésie et espace : deux facettes qui se retrouvent dans les mathématiques que Raphaël Liégeois a toujours aimées. « Adolescent, j’aimais les mathématiques. Et aussi la physique, application des maths au monde réel, qui permet de comprendre comment il fonctionne. » Faut-il alors préciser qu’il participera aux olympiades de mathématiques ? Et que le choix des études supérieuress’est posé dans un intervalle somme toute restreint : mathématiques (côté paternel), médecine (côté maternel), sciences pures ou appliquées ? Ces dernières l’emportent par envie du concret et l’attrait du master liégeois en… aérospatiale (la vérité oblige cependant à préciser que ce choix n’en est pas vraiment un puisque Raphaël Liégeois “profite” de ses études à l’ULiège pour décrocher en même temps un master en physique fondamentale à l’université Paris-Sud Orsay !). Fort logiquement, quand le jeune Namurois sollicite la fondation Pisart pour obtenir une bourse de mobilité, il commence sa lettre de motivation par “Je rêve d’être astronaute… ” ! L’espace, pourtant, attendra.

Le Pr Rodolphe Sépulchre crée en effet à ce moment un master en ingénierie biomédicale et Raphaël Liégeois se laisse tenter par cette option. « Cela représentait le croisement entre de belles mathématiques et les neurosciences, se rappelle-t-il. Et j’y retrouvais aussi cette notion de limite à dépasser, car on ignore encore tout du fonctionnement du cerveau : c’est la nouvelle frontière à franchir. »
Thésard, il commence la présentation de sa thèse en 180 secondes par cet aphorisme quelque peu déstabilisant : “Si le fonctionnement de notre cerveau était simple, nous serions trop bêtes pour le comprendre.” L’objectif de la thèse est donc de contribuer au développement des outils d’analyse de données d’imagerie cérébrale. Le côté algorithme, supervisé par le Pr Sépulchre, ne lui pose guère de problème. Mais le cerveau ? « Je me suis tourné vers le Pr Steven Laureys, spécialiste du cerveau et des états de conscience, qui dispose d’énormément de données recueillies par imagerie, tant sur des cerveaux sains que pathologiques. Et pendant la thèse, j’ai suivi les cours des deux premières années de médecine pour avoir une vue plus globale, notamment de l’intégration du cerveau dans le corps humain. »

LiegeoisRaphael-VEt de poursuivre : « La motivation initiale de ma thèse était l’envie, en tant qu’ingénieur, de contribuer au développement des outils d’analyse de données d’imagerie cérébrale. » On sait en effet que l’imagerie médicale permet aujourd’hui de recueillir des données fonctionnelles (et plus seulement structurelles) de l’activité dans différentes régions du cerveau. Mais leur interprétation reste difficile et incomplète. À l’heure actuelle, l’analyse de ces données fonctionnelles se fait par la caractérisation de la connectivité fonctionnelle, coeur de la thèse du jeune chercheur. De quoi s’agit-il ? « On peut la définir comme l’ensemble des interactions statistiques entre les mesures dans les différentes régions du cerveau. Il a été démontré que cela est pertinent pour caractériser le fonctionnement – pathologique ou non – du cerveau. » D’autant que, longtemps considérée comme constante au cours du temps, on sait aujourd’hui que la connectivité fluctue et que ces fluctuations permettent de caractériser plus finement les propriétés du cerveau. Ce sont donc ces fluctuations que Raphaël Liégeois a particulièrement étudiées pour in fine développer des outils, des modèles mathématiques permettant de cerner plus précisément les propriétés dynamiques de la connectivité fonctionnelle. Et ce dans un cerveau sain comme dans un cerveau pathologique. Une thèse qui a nécessité un certain exercice de vulgarisation puisqu’à l’interface de la médecine et de l’ingénierie, et qui donc a dû être accessible à chacune des deux communautés.

SINGAPOUR

En 2015, sa thèse terminée, se pose le choix du post-doctorat. « La voie classique aurait été de choisir les États-Unis. Mais l’Asie me semblait plus mystérieuse, j’avais envie de découvrir ce continent. » Cap vers la National University of Singapore, dans le laboratoire du Pr Yeo, très réputé dans le domaine des neurosciences computationnelles. « Nous avons vécu là deux années magnifiques, découvrant d’autres pays et cultures », se remémore Raphaël Liégeois. L’occasion aussi de développer des outils d’analyse d’imagerie mathématiquement plus avancés que ceux développés dans sa thèse. Ce qu’il continuera à faire dès 2018 au sein de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Avec toujours le même objectif : que les outils développés aient un impact dans le traitement des maladies cérébrales, comme Alzheimer par exemple. Mais alors pourquoi l’espace ? Car c’est bien pendant cette période suisse de sa carrière que le démon est revenu frapper à la porte à l’occasion de l’appel à candidature lancé par l’ESA. « Je me suis posé la question lors des épreuves de sélection, avoue-t-il. J’étais engagé dans les neurosciences, à la fois comme chercheur et comme enseignant. Et mieux comprendre ce qui se passe dans le cerveau était la nouvelle frontière à dépasser. Alors pourquoi songer à nouveau à l’espace ? Je ne suis pas sûr d’avoir la réponse complète à cette question. Il est difficile d’expliquer pourquoi certains rêves sont en nous, nous habitent. Je songe à nouveau à Magellan, son envie de découverte qui doit bénéficier à l’humanité. »

LiegeoisRaphael-V-2Raphaël Liégeois va maintenant retourner sur les bancs de l’école, celle des astronautes européens située à Cologne. Une nouvelle vie d’où la recherche scientifique sera absente. Sans regret ? « Il est certain que cela va me manquer, admet-il. Et je me suis posé la question lorsque j’ai postulé. Mais je quitte ce milieu en paix : tout ce que j’ai produit, notamment les algorithmes utilisés pour les systèmes d’analyse, est disponible pour la communauté. Et je contribuerai sans doute à la recherche par d’autres moyens, même si je n’utiliserai plus l’expertise que j’ai aujourd’hui dans les neurosciences. » Nouvelle vie, nouvelle rupture, mais l’occasion de découvrir un autre pays, une autre langue, en famille (Marine et lui sont les parents de deux jeunes enfants) avec, sans doute, des moments difficiles. « Je sais que mon épouse m’approuve et est contente de ma sélection. Quand je lui ai parlé de ce projet, elle m’a dit “Vas-y, postule, on verra bien”… un peu avec l’air de “cause toujours”… Mais elle ne m’a jamais vu aussi motivé par un projet. » Si la poésie pourra l’accompagner lors de son entraînement et même là-haut, dans l’espace, Raphaël Liégeois sait que piloter un planeur ou un ballon à gaz comme il aime le faire sera sans doute plus rare. « J’ai récemment fait un vol d’une nuit entière, raconte-t-il avec une pointe de nostalgie. C’était extraordinaire ce silence… Ce sont mes moments de poésie à moi, sans paroles ! »

Reste que le voilà astronaute “belge”. Un lien symbolique fort va-t-il se créer entre lui et la population ? « Qu’est-ce qui fait que l’on incarne à un moment donné les valeurs d’un pays ?, s’interroge Raphaël Liégeois. Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’être Belge ? J’ai du mal à répondre. Il me semble que ma génération est plus européenne. Entre nouveaux astronautes, on se sent peut-être plus européens que porte-drapeau d’une nation. » De là sans doute à voler un jour sous la double bannière, européenne et belge…

Pour rêver plus loin

⇒ Voir la conférence – et les photos – de Raphaël Liégeois à l’ULiège, “L’espace, la prochaine frontière” sur le site www.news.uliege.be/raphaelliegeois

⇒ Des scientifiques de l’université d’Anvers et de l’université de Liège (Dr Athena Demertzi au GIGA) ont découvert comment le cerveau humain change et s’adapte à l’apesanteur, après un séjour de six mois dans l’espace.
https://www.news.uliege.be/cerveauenapesanteur

vid-img-1
Youtube

Raphaël Liégeois : du cerveau à l'espace

Docteur en neurosciences de l'Université de Liège, Raphaël Liégeois a été sélectionné parmi plus de 22.000 candidats européens pour intégrer la nouvelle promotion d'astronautes de l'ESA, l'Agence Spatiale Européenne. A la veille du début de son entraînement à l'école des astronautes de l'ESA, il revient sur son parcours.

Partager cet article