Look up !

Les sondes DART et Héra à la poursuite des astéroïdes

Dans Omni Sciences
Article Henri DUPUIS - Illustration NASA/Johns Hopkins APL

En 2021, dans le film Don’t Look Up !, deux astronomes échouaient à convaincre autorités et opinion publique de l’imminence de la destruction de la Terre par une comète. Moins d’un an plus tard, la sonde DART percutait un astéroïde et modifiait sa trajectoire. Des chercheurs de l’ULiège ont participé à cette mission comme ils le feront pour Hera, chargée d’étudier l’astéroïde.

Environ 5200 tonnes de météorites tombent chaque année sur la Terre. Presque toutes ne sont que des poussières ou de petits cailloux qui ne causent aucun dommage. Mais il en est d’autres dont la chute laisse des traces. « Plusieurs des extinctions massives qu’a connues le monde du vivant seraient dues à la chute sur Terre d’astéroïdes d’une dizaine de kilomètres de diamètre, rappelle Emmanuel Jehin, maître de recherche FNRS et astrophysicien à l’ULiège. La plus célèbre extinction est celle qui, voici 66 millions d’années, a mis fin au règne des dinosaures. »

Plus proche de nous, le 15 février 2013, un astéroïde d’environ 20 m de diamètre et d’une masse de 12 000 tonnes s’est désintégré dans l’atmosphère à 30 km au-dessus de la ville russe de Tcheliabinsk, causant plus d’un millier de blessés par bris de portes et fenêtres sous le souffle de l’explosion. « On estime qu’une catastrophe de ce type se produit à peu près une fois par siècle, précise Emmanuel Jehin. Plus l’astéroïde est gros, plus il est rare et donc plus faible la probabilité qu’il vienne percuter notre planète. La chute d’un astéroïde d’une quarantaine de mètres de diamètre comme celui qui a détruit 2000 km2 de forêt en juin 1908 en Sibérie ne se produirait que tous les 500 ou 1000 ans. Mais un tel phénomène suffit pour rayer toute une région, voire un petit pays de la carte. Pour les plus gros astéroïdes, de plusieurs kilomètres de diamètre, la probabilité est d’une chute tous les 50 millions d’années, heureusement. »

REPÉRER, PRÉDIRE, PRÉVENIR

Pour éviter des catastrophes dont on sait qu’elles se produiront inéluctablement, comment organiser la défense planétaire ? Tout d’abord en repérant un maximum d’astéroïdes potentiellement dangereux. « Pour cela, il existe des télescopes qui fouillent le ciel toutes les nuits et repèrent “tout ce qui bouge”, explique Emmanuel Jehin. On estime, en se basant sur des modèles mathématiques et le taux de détection, que nous avons repéré la plupart des astéroïdes qui croisent l’orbite de la Terre (on les appelle des géocroiseurs) ayant plus d’un kilomètre de diamètre – il n’y a aucun danger pour au moins un siècle – et 80 % de ceux dont la taille est comprise entre 500 et 1000 mètres. » Un bel effort. Mais un astéroïde reste susceptible de provoquer une catastrophe d’envergure (comme rayer un pays de la carte) dès 150 mètres de diamètre. Or seuls 25 % de ceux dont la taille est comprise entre 150 et 500 mètres ont été repérés.

« Heureusement, se réjouit le chercheur liégeois, un tout nouveau télescope avec un énorme miroir de 8 mètres de diamètre et un très grand champ de vue, le Large Survey Synoptic Telescope (LSST), va bientôt être opérationnel. Il va photographier le ciel entier tous les trois jours et pourra détecter des astéroïdes jusqu’à un diamètre de 25 mètres chaque nuit dans la ceinture principale d’astéroïdes située entre Mars et Jupiter. Mais il faudrait plusieurs télescopes de ce type pour compléter l’inventaire d’ici la fin du siècle. » Sans compter que les méga-constellations de satellites comme celle qu’Elon Musk est en train de lancer (45 000 satellites prévus !) brouillent les images car, en se déplaçant, ils ressemblent à des astéroïdes.

Le réseau de télescopes liégeois TRAPPIST et l’équipe d’Emmanuel Jehin participent à ce repérage des astéroïdes géocroiseurs, et à leur caractérisation. « Il est en effet essentiel de prédire l’avenir des astéroïdes, confirme Emmanuel Jehin. Il faut connaître leur taille, leur trajectoire précise et leur composition car, à taille égale, un astéroïde rocheux, plus fragile, se désintégrera davantage en entrant dans l’atmosphère qu’un métallique qui causera plus de dégâts. »

Si l’un d’eux se révèle potentiellement menaçant, peut-on arrêter sa chute ? La première méthode envisagée était d’envoyer une bombe nucléaire sur l’astéroïde. Une solution abandonnée parce que cela risquerait de générer de nombreux fragments dangereux, sans compter les risques pour la Terre en cas d’échec de la fusée. D’autres solutions ont été imaginées pour dévier la trajectoire de l’astéroïde : lui accrocher un propulseur, le frapper avec un puissant faisceau laser ou placer un corps très massif dans son entourage (tracteur gravitationnel), voire lui accrocher une immense voile poussée par le vent solaire. « Mais ces techniques sont loin d’être maîtrisées, reprend Emmanuel Jehin. Par ailleurs, elles ne permettront qu’une déviation minime de la trajectoire. Il faudra donc du temps pour que cela produise ses effets, d’où la nécessité de s’y prendre longtemps à l’avance (plus d’un siècle sans doute) et aussi loin de la Terre que possible. »

L’IMPACTEUR CINÉTIQUE

La solution qui a finalement été retenue et qui vient d’être testée lors de la mission “Double Asteroid Redirection Test” (DART) de la NASA est celle de l’impacteur cinétique. Il s’agit de projeter une masse – la plus grosse possible – sur l’astéroïde avec une vitesse très élevée, ce qui démultiplie sa force d’impact. La cible ? Un petit astéroïde, Dimorphos, de 160 mètres de diamètre qui orbite autour d’un plus gros astéroïde, Didymos, de 700 mètres de diamètre. « Cet astéroïde binaire est un choix très judicieux, constate le chercheur liégeois, car en tournant autour de Didymos, Dimorphos passe dans son ombre puis projette son ombre sur lui, ce qui fait varier la courbe de lumière du système de façon très régulière. On a donc pu calculer que le petit orbitait autour du gros à la vitesse de 6,1 kilomètres par seconde, en précisément 11 heures et 55 minutes. » Le but était de projeter la sonde DART (plus de 500 kilos) dans une collision frontale, afin de ralentir Dimorphos et donc de modifier son orbite.

Lancée le 21 novembre 2021, DART a atteint son but le 27 septembre 2022, à 11 millions de km de la Terre. « La NASA avait estimé qu’à partir d’un raccourcissement de l’orbite de 73 secondes, la mission serait un succès. Or, après l’impact, l’orbite a été raccourcie de 32 minutes ! L’impacteur cinétique a bien mieux fonctionné que ce qu’on avait espéré, se réjouit Emmanuel Jehin. Une perte de matière bien plus importante que prévue a été observée par une armada de télescopes au sol, dont les télescopes TRAPPIST. Grâce à DART, on comprend mieux qu’il est possible que des astéroïdes présentent une queue de débris qui n’est donc pas due à la sublimation de la glace à l’approche du Soleil, mais bien à des impacts entre astéroïdes ! »

HERA

Aujourd’hui, le binôme s’éloigne de nous et n’est plus guère observable depuis le sol. C’est pourquoi une autre mission, de l’ESA cette fois, va prendre le relais : “Hera”. Elle devait à l’origine décoller en même temps que DART afin d’observer et d’analyser le résultat de l’impact. Des problèmes financiers en ont décidé autrement et c’est finalement en 2024 que la sonde partira vers Dimorphos. Son but n’est pas de s’écraser sur l’astéroïde, mais au contraire de se mettre en orbite afin de l’analyser le plus complètement possible, grâce aux chercheurs du laboratoire d’Emmanuel Jehin notamment.

« Hera va d’abord prendre une multitude de clichés de la zone d’impact de DART, ainsi que de l’ensemble de l’astéroïde pour que nous puissions voir dans quelle mesure il a été affecté. Après tout, ce n’est “qu’un tas de gravats” tenu par une très faible gravité, donc sa surface a dû être profondément modifiée. Le but est aussi d’estimer la quantité de matière qui a été éjectée et la masse précise des deux astéroïdes. Grâce à son spectromètre embarqué, nous aurons en outre une indication sur la composition de l’astéroïde. Hera restera en orbite, mais il emporte avec lui deux cubesats (de très petits satellites) dont l’un, qui contient un sismomètre, est destiné à se poser sur l’astéroïde. » Toutes ces données n’ont qu’un but : mieux comprendre comment faire dans l’avenir, pour dévier des astéroïdes plus imposants encore. Une mission pour les générations futures.

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