Le(s) néolibéralisme(s) en Belgique

Cadre macroéconomique, applications sectorielles et formes de résistance

Dans Omni Sciences

Si le néolibéralisme a fait l’objet de multiples débats scientifiques, le phénomène est beaucoup moins étudié en Belgique. Cette lacune, deux jeunes chercheur·es – Zoé Evrard, chargée de recherche au Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp), et Damien Piron, chargé de cours au département de Science politique de l’Uliège – viennent de la combler en publiant aux éditions academia, Le(s) néolibéralisme(s) en Belgique.

Fruit d’un collectif pluridisciplinaire et interuniversitaire, l’ouvrage replace l’évolution du néolibéralisme en Belgique dans une perspective historique avant d’examiner, de plus près, les mutations qu’il a engendrées. ainsi, après une introduction théorique, le livre se décline en 11 chapitres, autant de réformes directement inspirées du néolibéralisme : la libéralisation financière, le droit de l’environnement, la rationalisation du système de santé, etc.

« Rappelons d’abord que le terme fut forgé dans les années 1930 par des intellectuels qui se mobilisent alors contre d’autres idéologies émergentes ayant alors le vent en poupe (la planification centrale soviétique, le New Deal américain, la montée du fascisme). Ils veulent fonder un “nouveau libéralisme”, une nouvelle forme d’interventionnisme économique », explique Zoé Evrard. Le concept fut revendiqué dans les pays anglo-saxons d’abord, puis gagna ensuite les États européens. Quel fut son développement en Belgique ?

« Plusieurs auteurs identifient le “tournant néolibéral” belge dans les années 1980, relève Damien Piron. Comme en Angleterre, en France ou en Allemagne, les gouvernements belges (Martens-Gol) vont infléchir les politiques publiques en fonction de ce nouveau credo. Nos élites politiques calquent leurs décisions sur celles de nos grands voisins. Souvenons-nous de la dévaluation du franc belge en 1982, des politiques d’austérité, de la notion de compétitivité qui s’impose en neutralisant la contestation parlementaire par le recours aux pouvoirs spéciaux. Pas de débat ! » Non seulement le néolibéralisme modifie peu à peu notre manière de penser, mais il va aussi bouleverser notre manière de vivre ensemble. « Je suis frappé par l’ampleur de ces transformations, continue Damien Piron. Des secteurs publics entiers vont être privatisés ou libéralisés (la Poste, la SNCB, Electrabel, la Sabena, etc.), à l’instar de la dette publique, qui est désormais mise sur le marché ! »

Pourquoi la Belgique est-elle intéressante à analyser sous cet angle ? « Parce qu’elle occupe une position spécifique, reprend Zoé Evrard. C’est un pays fédéral, membre fondateur de l’Union Européenne. C’est aussi une société divisée, une démocratie “consociative”, dont le pouvoir n’est pas aux mains d’un parti majoritaire mais partagé au sein d’une coalition, et où les institutions intermédiaires, comme les syndicats et les mutualités, sont encore puissants. Il est, par ailleurs, intéressant de noter que, lorsqu’ils sont au pouvoir, tous les partis, depuis les années 1980, perpétuent, peu ou prou l’extension des politiques néolibérales. » Tous les partis ? « Oui, confirme Damien Piron. Le parti socialiste lance en 2005 le “plan Marshall” pour la Wallonie, espérant une relance par la croissance ; la mise en marché de la dette publique est coordonnée par un ministre social-chrétien, les partis écologistes votent la règle d’or budgétaire lorsqu’ils sont au gouvernement. »

L'ouvrage apporte ainsi un panorama utile de la néolibéralisation “à la belge” : en montrant comment celle-ci a modifié l’architecture institutionnelle du pays et transformé la nature de la concertation sociale, il nous aide à comprendre le présent.

* Damien Piron et Zoé Evrard (dir.), Le(s) néolibéralisme(s) en Belgique. Cadre macroéconomique, applications sectorielles et formes de résistance, éditions academia, Louvain-la-Neuve, septembre 2023.

 

Voir le podcast Réflexions : Le(s) néolibéralisme(s) en Belgique

Damien Piron et Zoé Evrard donneront une conférence dans le cadre du Festival "Rêve général"

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