LQJ-282

vallée. Pourquoi ? Parce que ces zones sont reliées par l’eau et doivent être repensées ensemble. Le bassin versant de la Vesdre, par exemple, est l’ensemble du territoire sur lequel une goutte d’eau qui tombe s’écoulera jusqu’à la Vesdre. « Pour lutter contre les inondations en fond de vallée, nous devons ralentir le plus possible la course de l’eau en amont sur l’ensemble du bassin. Dès lors, il est primordial d’observer et de réfléchir à la manière dont tous les sols sont et devraient être transformés. Le sol d’un plateau fortement urbanisé, par exemple, offre peu d’absorption et de stockage à l’eau, laquelle va rapidement ruisseler et, en cas de fortes pluies, renforcer le risque d’inondations. Mais ce n’est pas tout. L’exploitation des grands espaces ouverts (les surfaces agricoles ou forestières) a aussi eu un impact considérable sur les inondations. Au cours des siècles derniers, nous avons déraciné des forêts de feuillus pour les remplacer par des épicéas, dont la prise d’eau est nettement moins efficace. De façon comparable, l’agriculture intensive appauvrit les sols en augmentant le ruissellement, note la chercheure. Mes étudiants, répartis en équipes, observent le bassin versant par grands “transects territoriaux”. Ils cherchent à en comprendre les dynamiques, pour ensuite repenser les liens et les fonctionnements selon une nouvelle solidarité entre les plateaux versants et le fond de vallée. Ce qui vaut pour l’altitude vaut aussi le long du cours d’eau. En général, l’objectif principal est de ralentir, absorber et stocker l’eau le plus en amont possible, pour que les régions en aval ne subissent pas une déferlante grossissant le long de la vallée. » LE PARADOXE DU BON ÉLÈVE « De notre côté, poursuit le Pr Jacques Teller, nous avons étudié la dynamique d’urbanisation et l’évolution du territoire de la Vesdre, notamment à travers l’analyse des données cadastrales et des cartes historiques. La région a connu deux grandes vagues d’urbanisation lors de la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle et au cours des années 1950. Nous avons ensuite arpenté le terrain pour imaginer des interventions coordonnées le long du cours d’eau, des aménagements urbains limitant l’exposition aux inondations, des espaces perméables ou des bassins capables de retenir l’eau, des bâtiments qui pourraient laisser passer l’eau en limitant les dégâts sur les fonctions allouées aux rez-de-chaussée. Nous proposerons également un recul des constructions par rapport au cours d’eau car il faudra l’élargir, afin de donner beaucoup plus d’espace à la Vesdre pour s’écouler. » Historiquement, l’homme a toujours construit à proximité de l’eau. La Vesdre a attiré une activité industrielle importante, et l’habitat a suivi, se concentrant autour des zones d’activités économiques et des nœuds intermodaux (gares, etc.). Mais les bâtiments sont trop proches de la rivière : certains même ont des murs qui plongent dans le lit de la Vesdre. La vallée, une des plus urbanisées de Wallonie, est de surcroît très étriquée. La construction du chemin de fer et de la nationale ont contribué à la resserrer davantage, accentuant par endroits des phénomènes de goulot. De plus, la région souffrait déjà d’une crise socio-économique et de phénomènes de précarisation que les inondations ont encore accentués. L’HUMILITÉ DE L’OBSERVATEUR L’ampleur inédite de la catastrophe n’est pourtant pas le résultat de la modernité. 75 % des bâtiments sont antérieurs à 1950. « La vulnérabilité de la région s’est inscrite dans l’histoire, observe le Pr Teller. Quant aux premières cartes tenant compte des aléas d’inondation pour orienter les nouvelles constructions, elles datent de 2006-2007 et ont été relativement bien prises en compte. On ne peut pas se contenter de dire qu’il suffit de ne plus construire en zone inondable. Tout bonnement parce qu’une grande part des berges de la Vesdre est déjà urbanisée. Un grand nombre de bâtiments sont en cours de réparation, seuls les plus touchés ont été démolis. Les marges de manœuvre, si elles ne sont pas très étendues, existent néanmoins : réaménager les friches industrielles à l’abandon – autant de plaques imperméables – permettrait de reconstruire de manière plus verticale en réfléchissant à une résistance appropriée des bâtiments, en réduisant l’emprise au sol et en augmentant les surfaces perméables. » Catherine Vilquin collabore fréquemment avec l’International Center of Urbanisme de la KU Leuven. À la tête du centre, Bruno de Meulder et Kelly Shannon y ont développé de précieuses expertises sur des changements économiques et 12 mai-août 2022 / 282 ULiège www.ul iege.be/LQJ à la une

RkJQdWJsaXNoZXIy MTk1ODY=