LQJ-282

Le Quinzième Jour : La crise sanitaire a duré deux ans. Deux années durant lesquel les les pouvoirs publ ics ont forcément dû, en Belgique comme ailleurs, puiser dans les caisses pour amortir le choc. Quel a été l’impact sur la santé des finances du pays ? Damien Piron : Il faut d’abord rappeler que, depuis 1970, la Belgique est caractérisée par un fédéralisme centrifuge, c’est-à-dire par un transfert progressif, au fil des réformes de l’État, d’un nombre croissant de compétences vers les deux types d’entités fédérées qui coexistent dans notre pays : les Communautés et les Régions. Déterminer quelle entité reçoit quels moyens et sur quelle base est un processus complexe qui fait l’objet de difficiles négociations où s’affrontent, pour faire simple, deux logiques divergentes. Au nord du pays, cette idée pétrie de nationalisme économique, selon laquelle la Flandre peut légitimement prétendre à davantage de financement du fait de la plus large contribution de ses résidents aux recettes Docteur en sciences politiques et sociales de l’ULiège où il est désormais professeur invité, Damien Piron s’est spécialisé dans les politiques publiques. Il cosignait récemment, avec Christian de Visscher, un article examinant l’impact de la crise sanitaire sur les finances publiques en Belgique. Retour sur les principaux enjeux financiers de cette crise. ENTRETIEN PATRICK CAMAL fiscales, procède du principe dit du “juste retour”. Au sud du pays, cette idée que le financement des entités fédérées doit plutôt être guidé par un principe de solidarité en vertu duquel les entités dont la situation économique est la moins favorable – la Wallonie donc, mais aussi Bruxelles et la Communauté française – répond, elle, au besoin d’une enveloppe plus généreuse. Le système de financement des entités fédérées est toujours, avec chaque réforme de l’État, le résultat d’un nécessaire compromis entre ces revendications antagonistes. Un point important tient au fait que le financement des Communautés, qui ont à leur charge des compétences telles que l’enseignement et la culture, est essentiellement basé sur une dotation du fédéral dont le montant est fonction de leurs besoins. Ces entités sont par contre dénuées de prérogatives fiscales en pratique : elles ne peuvent pas lever l’impôt pour financer leurs compétences. Ce qui signifie que les Communautés sont dénuées de capacité d’action face aux dépenses supplémentaires engendrées en cas de crise. Heureusement pour elles, c’est surtout l’autorité fédérale qui a absorbé le choc budgétaire créé par la crise sanitaire, tant en termes de moindres recettes (impôts sur les personnes physiques et sur les sociétés, TVA sur la consommation, etc.) que de dépenses accrues puisqu’elle est notamment responsable de la Sécurité sociale (allocations de chômage temporaire, droit passerelle pour les indépendants, etc.). L’autorité fédérale a ainsi financé pas moins de 75 % des mesures de soutien temporaires pour amortir les conséquences de la crise, dans le cadre de ses compétences. La crise sanitaire a donc montré, une fois de plus, que l’autorité fédérale demeure l’entité dont les finances publiques sont les plus dépendantes de la conjoncture économique. La crise sanitaire a touché toutes les entités du pays de manière considérable : elles se retrouvent toutes aujourd’hui en situation de déficit budgétaire. Il n’en reste pas moins que ces mêmes entités ne se trouvaient pas, avant la crise, dans des situations équivalentes. La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), qui tente bon an mal an de faire face à la situation de sous-financement dans laquelle elle se trouve depuis 1989, voit ainsi ses finances publiques détériorées davantage du fait de la crise sanitaire. La Flandre, on s’en souvient, a de longue date fusionné ses institutions communautaires et régionales. Elle conserve donc l’option d’utiliser des moyens régionaux pour financer des politiques communautaires. Ce n’est pas le cas en Communauté française. mai-août 2022 / 282 ULiège www.ul iege.be/LQJ 17 l’opinion Budgets et fédéralisme à l’ère de la crise sanitaire

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