LQJ-283

Nous disposons le contenu de ces tubes sur des boîtes de Pétri, qu’on met en contact avec les bactéries ciblées. En certains endroits, elles ne prolifèrent pas et ont même disparu. » Ces plages de lyse trahissent la présence de phages. Elles sont prélevées, et la manipulation est répétée trois ou quatre fois. Au final, le phage est isolé. Vient ensuite la phase de caractérisation. « L’enjeu est de dresser le profil du phage : son spectre d’hôtes, poursuit Céline Antoine. Se cantonne-t-il à une souche de bactérie ou à plusieurs ? Avec quelle efficacité et quelle capacité de réplication ? Nous allons aussi analyser le génome du phage et l’associer à différentes familles, vérifier s’il présente des gènes de virulence ou de résistance aux antibiotiques, qui renforceraient l’infection bactérienne. La microscopie électronique va nous permettre d’observer visuellement le phage, sa morphologie, sa taille. Une autre étape importante de la caractérisation consiste à étudier sa stabilité dans le temps, sa résistance aux températures du corps, à différents pH aussi. La finalité est tout de même de l’amplifier et de le conserver pour ensuite l’administrer dans un organisme vivant. » C’est la raison pour laquelle des études in vivo sont ensuite requises. Car les résultats in vitro et in vivo diffèrent. « Nous travaillons sur des larves de papillon, poursuit Céline Antoine. Nous leur injectons les bactéries, différents phages, et observons les résultats. Nous sélectionnons les phages en fonction de la guérison des larves. C’est une première étape in vivo peu coûteuse et éthiquement acceptable. Elle permet un premier tri avant de passer à des tests sur des mammifères, des souris en l’occurrence. » Le phage entre ensuite dans une phase de multiplication. Il suffit pour cela de le mettre au contact de la bactérie. Il n’est cependant pas encore prêt à l’emploi. « Il arrive que des bactéries lysées libèrent des toxines, soulève Damien Thiry. C’est ce qui est à l’origine des chocs endotoxiniques. Il faut donc le purifier de toute éventuelle toxine héritée de son contact avec la bactérie. » Après toutes ces étapes, un phage peut devenir candidat à une démarche thérapeutique. ESSAIS CLINIQUES ET PERSPECTIVES À COURT TERME Si l’on ne trouve pas encore de bactériophages dans les pharmacies, les trajectoires actuelles semblent prometteuses. « Au-delà des recherches fondamentales, de nombreux essais cliniques sont effectués, s’enthousiasme Damien Thiry. Je pense notamment à Pseudomonas aeruginosa, qui cause des otites chroniques chez les chiens, mais pose également problème chez l’humain. Elle possède de nombreuses résistances aux antibiotiques et est capable de produire un biofilm qui contribue à la protéger. Lors de multi-résistances, peu de traitements fonctionnent. Avec des collègues cliniciens, les Drs Fontaine et Léonard, nous aimerions tester des phages sur des chiens infectés, voir leur efficacité, déterminer à quelle fréquence les administrer, etc. Tout cela prend du temps. Maintenant, une fois qu’un nouvel antibiotique est découvert, il faut en moyenne dix ans d’études avant d’en autoriser la mise en vente. Ce qui est actuellement en place en Belgique pour les traitements humains, ce sont des préparations magistrales, assemblées par des pharmaciens, dont les ingrédients sont les bactériophages. Cela permet de court-circuiter de longs essais cliniques et donc de permettre des applications rapides, notamment parce que la galénique, la mise en forme du produit, n’est pas toujours très compliquée. » Actuellement, quelques biobanques et laboratoires centralisent des stocks de bactériophages. Mais ils devraient rapidement coloniser le monde de la médecine de la même manière qu’ils ont recouvert le reste de la planète. Inoculation de bacteriophages à une larve de Galleria mellonella CMMI - Centre de microscopie et d’imagerie moléculaire septembre-décembre 2022 / 283 ULiège www.ul iege.be/LQJ 51 omni sciences

RkJQdWJsaXNoZXIy MTk1ODY=