LQJ-284

à maintes reprises, ont contribué à considérer les violences intrafamiliales non plus comme un problème privé mais comme un phénomène de société. Au niveau des autorités, une “Task force” a été constituée, regroupant plusieurs cabinets politiques (Christie Morreale, Bénédicte Linard, Valérie Glatigny, Alain Marron3), ainsi que diverses associations de terrain, dont le CVFE. L’urgence était telle que cette plateforme s’est réunie une ou deux fois par semaine durant deux ans. Des moyens financiers notables ont été accordés pour secourir les victimes. Grâce à cela, le Collectif contre les violences familiales et l’exclusion a renforcé le dispositif de la “ligne d’écoute” : nous avons démultiplié les lignes et engagé du personnel pour faire face à l’amplification des besoins. Cependant, nous nous sommes rapidement rendu compte qu’une écoute de qualité (et donc longue) était très malaisée, raison pour laquelle nous avons ouvert un “tchat” plus facilement praticable en cas de détresse. En avril 2020, nous avons reçu trois fois plus d’appels (voir le tableau p. 62). Nous ignorions si le confinement allait générer de “nouvelles” violences. Hélas, ce fut bien le cas. Au bout du fil, il y avait une grande détresse, des accès de panique, des personnes au bord du suicide. On sentait les personnes beaucoup plus fragiles, plus vulnérables. Une grande partie des communications, un tiers environ, émanait de la famille, d’amis, de collègues inquiets. C’est très intéressant parce que cela prouve qu’un réseau protecteur existe autour de la victime, dans la discrétion et la bienveillance et que, inversément, et sans même jamais oser une confidence, la victime de violences conjugales se sent protégée dans son cadre de travail. F.G. : Le soutien par les pairs et le réseau social est sans équivalent. Pouvoir parler, être épaulée et protégée permet de faire face à la honte et à la peur ressentie par la victime. La crise a mis en lumière ce que 50 ans de “combat féministe” et de revendications du monde associatif avaient dénoncé. Grâce à cette sensibilisation notamment, les risques liés au confinement ont été correctement évalués et, très rapidement, des dispositifs ont été mis en place : accroissement du nombre de places d’accueil dans les refuges existants ; mise à disposition de chambres d’hôtels pour les femmes et mères avec enfants ; nouveaux dispositifs d’écoute dans les pharmacies, etc. La crise a aussi révélé les besoins en termes d’accompagnement psycho-social. Mais, si les appels ont été beaucoup plus nombreux, le nombre de plaintes judiciaires pendant cette période, lui, n’a pas augmenté. J.-L.S. : Pour la première fois, nous avons reçu, pendant le confinement, davantage d’appels émanant d’auteurs de violences. Et cela continue. Certains sont complètement démunis face à leurs accès de colère qui se traduisent en brutalités. Les victimes, elles, disent que le confinement “n’a rien changé” : l’enfermement, la privation de liberté, le stress, la peur sont leur lot habituel. Simplement, la crise a montré à tout le monde ce que qu’elles vivaient au quotidien. F.G. : Pour revenir aux données de l’étude, il est important d’inscrire les violences conjugales dans une contexte sociétal plus large que celui de la crise pandémique, car les crises qui se succèdent fragilisent le bien-être, la santé mentale, les conditions de vie, l’accès aux ressources. La multiplication de ces vulnérabilités psycho-sociales expose aux stress multiples et, en conséquence, au risque de violences. Les professionnels relèvent actuellement une augmentation de demandes d’aide pour des situations plus sévères au sein de populations spécifiques comme les étudiants et les jeunes déscolarisés. LQJ : Comment se porte le secteur à présent ? F.G. : Les professionnels du secteur psycho-social sont très éprouvés. Elles (ce sont majoritairement des femmes) se sont fortement impliquées dans un état d’urgence et accusent le coup de façon différée. Elles ont été exposées à des traumatismes sévères et ont ressenti un sentiment d’impuissance devant des situations anxiogènes. Parfois en télétravail4, elles ont dû faire face tout en s’occupant de 3 Christie Morreale est vice-présidente du gouvernement wallon, ministre de l’Emploi, de la Formation, de la Santé, de l’Action sociale et de l’Économie sociale, de l’Égalité des chances et des Droits des femmes. Bénédicte Linard est vice-présidente et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes au sein du gouvernement de la Communauté française. Valérie Glatigny est ministre de l’Enseignement supérieur, de la Promotion sociale, de la Recherche scientifique, des Hôpitaux universitaires, de l’Aide à la jeunesse, des Maisons de justice, de la Promotion de Bruxelles, de la Jeunesse et du Sport, au sein du gouvernement de la Communauté française. Alain Maron est ministre du gouvernement de la Région de BruxellesCapitale, chargé de la Transition climatique, de l’Environnement, de l’Énergie et de la Démocratie participative. 4 Charlotte Vanneste, Catherine Fallon, Fabienne Glowacz , Anne Lemmone , Isabelle Ravier, “Regards croisés sur la violence entre partenaires intimes”, dans Les cahiers du GEPs-Politeia, 2022. janvier-avril 2023 i 284 i www.ul iege.be/LQJ 63 le dialogue

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