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donc mettre en évidence des comportements uniques et qui échappent aux lois habituelles de la physique et de la chimie », se réjouit Anne-Sophie Duwez. Un exemple ? Prenons le cas d’un moteur de voiture. La chaleur (énergie thermique) qui s’en dégage est perdue ; le moteur est incapable de la récupérer pour faire avancer la voiture (énergie mécanique). Mais certaines molécules, elles, réalisent ce tour de passe-passe. Notamment celles constituées d’un anneau enfilé autour d’un axe. Lorsqu’on casse la liaison qui relie les deux, l’anneau peut coulisser sur l’axe et donc effectuer un travail mécanique, par exemple emmener une charge mécanique (un poids). « Nous avons observé, explique Anne-Sophie Duwez, que des molécules pouvaient produire une énergie mécanique plus grande que l’énergie disponible sous forme de liaison chimique, car la molécule est capable d’extraire dans le milieu de la chaleur qu’elle va additionner à l’énergie disponible par les liaisons. Elle produit donc un travail qui finalement est plus grand que l’énergie disponible, parce qu’elle est allée extraire de la chaleur dans le milieu. Cela est possible du fait que cette molécule est petite et l’énergie disponible dans le milieu est suffisante. Mais si vous examinez un ensemble constitué d’un grand nombre de molécules, vous ne remarquez pas cette possibilité : il faut les étudier une par une. » LIAISONS Avec son ERC, Anne-Sophie Duwez veut aller plus loin et s’attaquer aux liaisons chimiques. « En tant que chimiste, on considère presque toujours les liaisons en termes d’énergie et de stabilité thermodynamique. Mais rarement sous l’angle de leur résistance mécanique. Or, quand on les manipule une par une, on se rend compte que des liaisons réputées pour être fortes se révèlent être fragiles sous une force mécanique et inversement, notamment à cause de leur géométrie. Nous allons nous attaquer aux liaisons de base de la chimie, et entre autres les liaisons covalentes, réputées être les plus fortes. » L’idée est de mesurer la force de ces liaisons en fonction de leur géométrie et de l’environnement, mais surtout, ce qui n’a jamais été fait, d’étudier leur réversibilité : comment vont-elles se reformer après cassure, et après combien de temps ? En principe, cette mesure n’est pas possible : une fois brisée, une liaison ne se reconstitue pas car les éléments de la molécule qu’elle unissait se retrouvent trop éloignés l’un de l’autre. Sauf… « Sauf si vous étudiez des molécules La spectroscopie de force sur molécule unique est un ensemble de techniques qui permettent d’étudier notamment les interactions et les forces de liaison dans des molécules individuelles. Parmi ces techniques, deux sont utilisées au sein de NanoChem, le laboratoire que dirige Anne-Sophie Duwez à l’ULiège : la microscopie à force atomique et les pinces optiques. Certains se souviennent peut-être de cette photo qui a fait le tour du monde : le logo d’IBM reproduit à l’aide de 35 atomes de xénon placés un par un sur une surface de nickel. Cet exploit réalisé par deux ingénieurs de la société en 1990 battait ainsi en brèche la prédiction d’Erwin Schrödinger, pourtant pionnier en physique quantique (et prix Nobel de physique), selon laquelle il ne serait jamais possible de manipuler individuellement les atomes ou les molécules. Pour écrire aussi spectaculairement le logo d’IBM, les deux chercheurs avaient eu recours à un microscope à effet tunnel (ou STM pour Scanning Tunneling Microscopy) inventé par deux autres chercheurs de la même firme en 1981 (ce qui leur valut d’ailleurs un prix Nobel de physique), basé sur un phénomène bien connu en physique quantique, l’effet tunnel. La spectroscopie de force sur molécule unique 34 septembre-décembre 2022 / 283 ULiège www.ul iege.be/LQJ omni sciences

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