LQJ-283

surtout pour développer une méthodologie qui permet de les identifier. Les débuts sont rudes. « Je me souviens du premier colloque de tracéologie auquel j’ai participé comme jeune doctorante. C’était à Saint-Pétersbourg. Plusieurs sont venus me trouver, l’air un peu consterné, en me disant qu’il était encore temps de changer de sujet de thèse car je ne trouverais jamais assez de traces de ce type. La tracéologie à l’époque se focalisait en effet sur les bords des outils, analysant les frictions, les usures spécifiques à un travail. » Des doutes qui vont renforcer la détermination de Veerle Rots. Pendant un peu plus de quatre années d’un travail acharné, elle va tout d’abord démontrer qu’il existe de nombreuses traces d’emmanchement et, surtout, elle établit une liste de variables susceptibles d’influencer la formation des traces (utilisation, modes d’emmanchement, etc.). Bref, elle met au point une méthodologie qui permet d’identifier puis de classer ce type de traces, méthodologie que tout le monde utilise actuellement ! Un travail qu’elle n’aurait pu accomplir sans l’aide d’archéologues amateurs wallons liés au Centre d’étude des techniques et de recherche expérimentale en Préhistoire (Cetrep), formés à la taille de silex et capables de répliquer les outils anciens. Aujourd’hui comme hier, la taille de silex répond en effet à des lois mécaniques qui font que tel geste va donner lieu à tel éclat, à telle taille. « Je pouvais donc leur demander de reproduire tel ou tel outil, explique Veerle Rots, mais aussi différents types d’emmanchement et surtout de les utiliser, car il faut une utilisation répétée pour que des traces apparaissent et cela demande beaucoup de temps. » NÉANDERTAL Doctorat en poche (2002), elle enchaîne les mandats de recherches postdoctorales qui vont lui permettre d’appliquer la méthodologie déterminée dans sa thèse. Et cela principalement sur du matériel issu de fouilles de la KU Leuven, notamment dans l’île de Sai au Soudan où elle repère les plus anciennes traces d’emmanchement connues en Afrique, datant de 200 000 ans environ. Elle fait de même avec des outils issus de sites européens, notamment Biache-Saint-Vaast en France où elle découvre les plus anciennes traces d’emmanchement connues aujourd’hui (250 000 ans). Afrique-Europe ? Il y a là une filiation que nous connaissons tous, l’Homme moderne étant né sur le continent africain avant de migrer vers nos contrées. Mais pour Veerle Rots, ces deux points de référence sont nécessaires pour poursuivre son projet : l’étude comparée des Néandertaliens et des premiers Hommes modernes grâce à l’analyse fonctionnelle et l’étude des traces. Pour rappel, l’Homme de Néandertal était présent dans nos contrées il y a plus de 250 000 ans déjà et a disparu voici 40 000 ans, moment auquel l’Homme moderne arrive. Une disparition qui pose énormément de questions restées sans réponse. « Ce double ancrage géographique est essentiel, explique l’archéologue, pour pouvoir faire des comparaisons valables. Si le Néandertalien a une si mauvaise image, c’est souvent parce qu’on le compare à l’Homme moderne très évolué, quand il s’est établi chez nous. Mais il faut les comparer à la même époque, c’est-à-dire par exemple il y a 200 000 ans, donc l’Homme moderne en Afrique, le Néandertalien chez nous ! » Un projet captivant qu’elle va poursuivre et développer à l’ULiège. L’ARRIVÉE À LIÈGE « J’étais très bien à la KU Leuven, j’y ai réalisé des recherches passionnantes, c’était proche de chez moi. Mais il y a un moment où on ne peut plus se contenter de mandats temporaires, on cherche à se fixer pour construire quelque chose de plus permanent, se souvient Veerle Rots en servant du café dans un mug estampillé TraceoLab (« un cadeau de mon équipe pour les dix ans de la fondation du labo », glisse-t-elle en souriant). J’ai donc postulé au FNRS et décroché un mandat permanent de chercheur qualifié en 2011, ici à Liège. » Un tournant dans sa carrière, une fameuse opportunité. Si, comme elle le reconnaît, les universités de Leuven et de Liège sont les deux pôles belges réputés en Préhistoire, la tracéologie n’est pas alors la spécialisation de Liège. « Au début, j’ai commencé à travailler grâce à un équipement fourni par mes anciens collègues de Leuven, notamment un microscope absolument nécessaire pour étudier les Ce qui définit l’humain, c’est sa capacité à penser son passé, à réfléchir sur ce qui l’a fait 42 septembre-décembre 2022 / 283 ULiège www.ul iege.be/LQJ le parcours

RkJQdWJsaXNoZXIy MTk1ODY=