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c’est une brèche par laquelle la phagothérapie s’est infiltrée dans la médecine humaine. En Belgique, par exemple, l’hôpital militaire Reine Astrid soigne de cette manière de nombreux grands brûlés infectés par des bactéries multirésistantes, et ce depuis plusieurs années. Un bébé, en attente d’une seconde transplantation hépatique, a également été sauvé par des phages aux Cliniques universitaires Saint-Luc, alors qu’il souffrait d’un abcès hépatique suite à une première transplantation. » S’il existe quelques centres de phagothérapie en Europe, la Belgique reste pionnière en la matière, notamment grâce à un travail minutieux de compilation des bonnes méthodes de production des phages, tenu par l’hôpital militaire Reine Astrid. « Cela peut paraître étonnant pour le grand public, mais la législation est encore plus stricte en médecine vétérinaire parce que celle-ci englobe le soin des animaux de production, destinés à la consommation. Toute innovation thérapeutique doit avoir démontré l’absence de contamination résiduelle. » Mais les lignes bougent. Une nouvelle législation européenne pour la médecine vétérinaire est appliquée depuis 2019. Dans la section allouée aux nouvelles thérapies figurent les bactériophages. « La porte est ouverte, mais un groupe d’experts mandatés par l’Agence européenne des médicaments doit encore déterminer comment enregistrer et utiliser des produits thérapeutiques à base de phages. » Ce qui devrait être clôturé pour l’hiver 20222023. En attendant, les recherches se poursuivent des deux côtés, en créant de nombreux ponts. Le principe fonctionne de la même manière pour les animaux et pour les humains. Pour autant que nous puissions accueillir une même bactérie pathogène qu’une espèce animale, un même phage pourrait être convoqué pour des thérapies humaines et vétérinaires. VERS UNE MÉDECINE INDIVIDUALISÉE Comment utiliser les bactériophages ? La question est complexe. Chaque phage candidat à une intervention thérapeutique doit être génomiquement typé, présenter un passeport génétique visant avant tout à vérifier qu’il ne présente aucun risque de transfert de gène de virulence ou de résistance aux antibiotiques, contreproductive chez le patient. Mais le phage est un virus, ce n’est pas un être vivant à proprement parler. S’il a besoin d’un hôte pour se multiplier, il reste un micro-organisme capable d’évoluer. La culture d’un phage nécessite la mise en contact avec la bactérie qu’il va infecter. Naturellement, cette dernière va résister à l’agression, évoluer et pousser le virus à développer de nouveaux mécanismes d’attaque. Envisager une chaîne de production de phages n’est donc pas évident, puisque le “produit” peut continuer de varier après avoir été caractérisé. La phagothérapie invite donc à réorganiser la manière de penser un produit pharmaceutique. Selon Damien Thiry, elle s’inscrira sans doute dans le déploiement d’une médecine plus individualisée. Il ne sera plus question d’administrer un seul et même remède à une large population, comme nous l’avons fait avec les antibiotiques. Les phages sont bien plus spécialisés. « Pour un traitement, nous allons isoler une bactérie spécifique à l’origine d’une infection, avant de tester sur elle différents virus qui ont soit été compilés dans des banques de phages, soit été isolés précisément pour ce cas particulier. Cette spécialisation des phages comporte l’avantage que, à l’inverse des antibiotiques, il ne détruira pas toute une communauté bactérienne non pathogène et utile au sein des différents microbiotes. La difficulté réside dans le fait que chaque bactérie est infectée par des phages qui lui sont souvent très spécifiques, et qu’il convient de les débusquer et de les étudier. » DE LA NATURE AU LABORATOIRE « Il se dit que chaque jour, raconte Damien Thiry, environs la moitié de la population bactérienne des océans est anéantie par les phages. Je ne sais pas comment on a pu le prouver. Toujours est-il que l’évolution bactérienne est influencée par ce parasitage continu. C’est un phénomène naturel, que nous cherchons à intégrer dans nos laboratoires. Et ce n’est pas toujours évident. D’ailleurs, l’idée n’est pas de remplacer les antibiotiques, mais de proposer des thérapies complémentaires. Certains phages se révèlent puissants, d’autres moins : on peut envisager de confectionner des cocktails de phages. On peut aussi les “entraîner”. Contrairement aux antibiotiques, les phages continuent d’évoluer. Si on les met au contact de la bactérie ciblée, ils peuvent déployer de nouvelles capacités. » Il existe deux grands types de bactériophages. Les premiers, qualifiés de tempérés, vont parasiter leur hôte et intégrer leur génome au chromosome bactérien. Ils modifient donc la bactérie et prolifèrent avec elle. « Certains de ces virus tempérés sont porteurs de gènes codant des toxines et des facteurs de virulence importants, explique Salomé Desmecht, doctorante au service de bactériologie de la faculté de Médecine vétérinaire. Par exemple, la souche d’E.coli à l’origine de la maladie du hamburger est porteuse de shiga-toxines, codées par l’un des gènes d’un septembre-décembre 2022 / 283 ULiège www.ul iege.be/LQJ 49 omni sciences

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